Après des mois de brouille concernant un protocole d'accord controversé signé par l'Ethiopie avec la région séparatiste somalienne du Somaliland pour un accès à la mer, Addis Abeba et Mogadiscio ont signé mercredi en Turquie un accord pour mettre fin aux tensions. Que signifie cet accord pour les relations entre l'Éthiopie et la Somalie, et quelles sont les conséquences pour la Corne de l'Afrique?
L'accord a été salué dans la foulée par l'Union africaine, qui a "fortement encouragé" les deux pays voisins à le mettre en oeuvre. Les relations entre l'Ethiopie et la Somalie se sont fortement tendues en janvier après qu'Addis Abeba a signé un protocole d'accord avec la région séparatiste du Somaliland.
Ce texte prévoit la location pour 50 ans à l'Ethiopie, immense pays enclavé d'environ 120 millions d'habitants, de 20 km de côtes du Somaliland, qui a unilatéralement proclamé son indépendance de la Somalie en 1991.
Les autorités somalilandaises affirment qu'en échange de cet accès à la mer, l'Ethiopie deviendrait le premier pays à reconnaître officiellement leur république. Le contenu exact de l'accord n'a jamais été rendu public, et Addis Abeba n'a jamais affirmé que la reconnaissance du Somaliland était une condition sine qua non.
Les autorités somaliennes ont de leur côté dénoncé un accord "illégal" et une "agression" contre sa souveraineté.
La communauté internationale, notamment l'ONU, les Etats-Unis et la Chine, ont enjoint l'Ethiopie à respecter l'intégrité territoriale de la Somalie.
En réaction, Mogasdiscio a, ces derniers, mois, renforcé ses relations avec l'Egypte, en froid avec l'Ethiopie à cause de la construction d'un barrage sur le Nil, et l'Érythrée.
Cette escalade entre les deux pays inquiète dans une région instable, en proie notamment à l'insurrection des islamistes radicaux shebab.
Mogadiscio a menacé d'ordonner le retrait des quelque 10.000 soldats éthiopiens présents en Somalie dans le cadre de l'Atmis (mission africaine de transition en Somalie).
En septembre, dans un entretien avec l'AFP, Omar Mahmood, analyste principal de l'Afrique de l'est pour le groupe de réflexion International Crisis Group, avait déclaré que les shebab étaient les "grands gagnants" de cette situation.
Très peu d'éléments ont filtré de cet accord conclu mercredi entre le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed sous les auspices du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Le président turc a déclaré mercredi qu'il estimait que l'accord, qualifié d'"historique", conclu après huit heures de négociations allait permettre d'assurer un accès de l'Ethiopie à la mer.
Selon le texte de l'accord publié par la Turquie, les parties sont convenues "d'abandonner les divergences d'opinion et les questions litigieuses, et d'aller résolument de l'avant dans la coopération en vue d'une prospérité commune".
"Cela met fin aux divergences que nous avons eues ces derniers temps. L'Éthiopie et la Somalie sont deux pays voisins, et ils ont des intérêts mutuels à coopérer ensemble et à construire un avenir prospère pour nos deux pays et nos deux peuples", a salué le président somalien.
-C'est un élément crucial, et l'accord conclu mercredi en Turquie ne mentionne pas le devenir du protocole d'accord signé en janvier.
Le Somaliland, qui installe jeudi un nouveau président, n'a pour l'heure fait aucune déclaration officielle et les autorités éthiopiennes n'ont pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
Guleid Ahmed Jama, avocat et analyste politique du Somaliland, a déclaré à l'AFP que l'accord "indique que l'Éthiopie répudie certains de ses engagements concernant la reconnaissance du Somaliland".
"Cela ne dissuadera pas le Somaliland de continuer à rechercher une reconnaissance internationale, mais c'est évidemment un revers", a-t-il déclaré.
-L'Union africaine, par la voix du président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, a salué jeudi un "acte important", tout en enjoignant les deux pays "à mettre en oeuvre, sans délai, les mesures pertinentes adoptées".
Un peu plus tôt, le secrétaire exécutif du bloc régional d'Afrique de l'est, l'Autorité intergouvernementale pour développement (Igad) et ex-ministre éthiopien des Affaires étrangères, Workneh Gebeyehu, avait salué un "accord important" qui "démontre un engagement à résoudre les problèmes bilatéraux à l'amiable".
Omar Mahmood a de son côté affirmé que l'accord était une surprise "bienvenue" dans la région.
"Cela fait baisser la tension, qui jusqu'alors était dangereuse", a-t-il déclaré à l'AFP, tout en assurant que les deux parties en sortaient gagnantes.
"Abiy obtient l'engagement d'avoir accès à la mer, (mais sans la mention de la base navale), tandis que pour la Somalie, l'accord reconnaît sa souveraineté", a-t-il expliqué.