Armes : une prolifération inquiétante en Afrique

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Mis à jour le
24 janvier 2025 à 11:34
par Mylène Girardeau et Niagalé Bagayoko

Malgré les conventions et protocoles, les armes légères et de petit calibre prolifèrent en Afrique et alimentent conflits et drames humains. Comment circulent-elles ? Qui les fabrique ? Quelles sont les mesures prises pour réguler leur circulation et lutter contre leur utilisation illicite ?

40 millions ? 100 millions ? 500 millions ? Impossible de connaître le nombre, même approximatif, d’armes légères et de petit calibre présentes actuellement en Afrique.  

Ce qui est sûr c’est que leur circulation s’est accélérée au cours des trois dernières décennies, au point de devenir un véritable moteur de conflits, à l’origine de drames humains.

En témoigne ces habitants de Turunga, une ville au nord de Goma en République Démocratique du Congo, après une attaque meurtrière en juillet 2024. Akilimali Kabuya, proche des victimes, raconte : "Les bandits sont entrés à l'intérieur de la maison. Ils ont tué le père, la mère et la tante. Ils ont aussi blessé le fils et même un voisin qui se trouvait à côté. Il voulait crier, ils lui ont tiré dessus.

Ces armes qu'ils donnent tantôt aux groupes d’autodéfense, les Wazelondo, tantôt à d'autres gens, sont devenues nombreuses dans la ville. Nous avons absolument besoin de la paix.

Tulinabo Chance, habitante de Turunga (RDC)

Habitante de Turunga
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Qu'est-ce qu'une « arme légère et de petit calibre » ?  

Il n’existe pas de définition reconnue par tous pour ces armes également connues sous les acronymes ALPC en français et SALW (Small Arms and Light Weapons) en anglais.    

Pour les Nations unies, il s'agit d'armes civiles ou militaires qui expulsent un projectile et sont transportables. C'est à dire qu’elles peuvent être déplacées soit par un seul individu, soit par un petit groupe de personnes, soit par un animal de trait ou un véhicule léger.  

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Les forces militaires soutenant les groupes d'opposition anti-gouvernementaux montrent leurs armes à Mogadiscio, en Somalie, en mai 2021.

AP Photo/Farah Abdi Warsameh

Parmi ces armes, on distingue deux catégories :

  • les armes de petit calibre : ce sont les armes de poing, comme les carabines, les fusils, les fusils mitrailleurs et les mitrailleuses, les fusils de chasse ou d’assaut. Le fameux AK-47, appelé aussi Kalachnikov, est une arme de petit calibre.  
  • les armes légères : les mitrailleuses lourdes, les lance-grenades, les lance-roquettes, les canons antiaériens, les canons et armes antichars portatifs, les systèmes portatifs de défense aérienne.  
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Sur cette photo de 2004, des militants Ijaw tiennent des fusils AK-47 alors qu'ils montent la garde à Okorota, près de Port Harcourt, au Nigeria.

AP Photo/George Osodi

Depuis quand trouve-t-on ce type d’armes en Afrique ?

Leur présence sur le continent est ancienne. On parlait plus généralement d’armes à feu. Les premières apparues en Afrique sont les "fusils de traite". On les appelle ainsi parce qu’ils étaient utilisés durant la traite des esclaves aux XVIIe et XVIIIème siècles.

Plus tard, au XIXe siècle, les Européens commencent à revendre dans les comptoirs d’Afrique des modèles recyclés de l’industrie du vieux Continent.

Armes en Afrique XIXe siècle

En 1843, des marines américains, armés de fusils, débarquent en Afrique pour réprimer le commerce des esclaves. 

AP Photo

Mais très vite, les résistances des populations africaines à la conquête coloniale incitent les puissances conquérantes à contrôler les sources de ravitaillement, avec des règles à géométrie variable selon les pays.

Ainsi, la politique britannique, assez libérale, permet aux rois et chefs de se procurer assez facilement des fusils ; tandis que dans l’empire français, le commerce des armes est interdit dès 1834, avec quelques assouplissements selon les territoires et les périodes.  

En 1890, la Convention de Bruxelles harmonise les réponses des puissances coloniales confrontées à des mouvements d’insurrection et limite les importations par les populations autochtones.  

Les restrictions s’amplifient avec la montée des nationalismes africains dans les années 1940.
 

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La police marocaine présente une saisie d'armes au Sahara occidental en janvier 2011. Le gouvernement marocain déclare avoir démantelé une cellule liée à la branche nord-africaine d'Al-Qaïda.

AP Photo/Abdeljalil Bounhar

Comment circulent ces armes aujourd’hui ?

L’offre et la demande ont augmenté de manière exponentielle ces 30 dernières années, principalement dans les zones de conflit.

Les itinéraires de trafics d’armes empruntent essentiellement les voies terrestres.  

Ils relient le golfe de Guinée au Sahara dans le nord et à l'Afrique centrale et orientale.  
Les principaux points de transit se situent en Libye, au Niger, au Soudan et au Soudan du Sud.  

Flux illicites d'armes légères en Afrique
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Qui fabrique les armes légères et de petit calibre ?

Une partie est produite localement par de petits artisans. Ces armes sont le plus souvent destinées à la protection du bétail, aux cérémonies traditionnelles et à la chasse.

Abordables et accessibles, elles sont aussi de plus en plus utilisées dans le cadre d'activités criminelles et de conflits communautaires.

À une autre échelle, quelques États africains ont développé leur propre industrie d’armement en particulier l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie ou le Soudan.  

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Mais la grande majorité des armes qui circulent en Afrique est issue de l’extérieur du continent.

Les stocks sont essentiellement composés de modèles et marques anciennes datant de la période de la guerre froide.  

Les principaux fournisseurs actuels sont les États-Unis, la Russie et l'Europe. Mais on trouve aussi de plus en plus d’armes provenant de sources nouvelles ou émergentes comme la Chine et la Turquie.

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Cette prolifération est inquiétante parce que la majorité de ces armes sont produites, transférées, détenues ou utilisées en violation du droit national ou international.

Les groupes armés qui combattent les gouvernements saisissent lors de leurs attaques des stocks militaires importés dans les règles.

Les groupes criminels, motivés par l’appât du gain et la prédation, les détournent, les revendent sur le marché noir, fournissent des gangs urbains ou dépouillent les populations civiles dans les zones rurales.

Enfin certains États se livrent également à des achats illégaux.

Le commerce des armes relève d'énormes paradoxes : l'Afrique est partie prenante de tous les accords internationaux, pourtant elle se détourne des fournisseurs historiques pour aller vers de nouveaux, qui ont des critères moins contraignants, mais des objectifs et des modus operandi similaires.

Christiane Agboton-Johnson, ex-directrice adjointe de l'Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) et présidente du Mouvement contre les armes légères en Afrique de l'Ouest 

Comment lutter contre la prolifération des armes légères et de petit calibre en Afrique ?  

D’abord, des législations ont été adoptées au niveau régional et continental pour réguler leur circulation et lutter contre leur usage ou commerce illicite.  

Dès 1998, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO, établit le premier moratoire au monde sur les armes légères et de petit calibre. Le texte limite l’importation, l’exportation et la fabrication de ces armes. Mais il n’est pas contraignant, alors une nouvelle Convention est venue le renforcer en 2006.  

On retiendra également en 2004 : le Protocole de Nairobi dans la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique et le Protocole de la Communauté de développement de l’Afrique australe,  ou encore la Convention de Kinshasa adoptée en 2010 pour l’Afrique centrale.  

Déjà à l’origine de la Déclaration de Bamako sur les armes légères en 2000,  l’Union Africaine a ensuite lancé un ambitieux programme, appelé « Faire Taire les armes ». Son objectif est de favoriser la mise en application de toutes ces Conventions régionales.

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Par ailleurs, des dispositifs pour gérer les stocks nationaux et tracer les armes ont aussi été créés.  

L’instrument de traçage international adopté en 2005 par les Nations unies prévoit que chaque arme porte des détails d’identification uniques et que les pays recensent les armes à l’intérieur de leurs frontières.  

Les armes légères et de petit calibre importées doivent aussi porter des marquages permettant d‘identifier le pays et l’année d’importation. Les Etats importateurs doivent en outre garantir la présence d’un numéro de série.

Mais actuellement, près de 80 % des armes légères ne sont ni enregistrées ni marquées.  

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Des membres de délégations examinent une exposition d'armes en marge du Sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg (Russie) en juillet 2023.

Artyom Geodakyan/TASS Host Photo Agency Pool Photo via AP

Pourquoi y a-t-il toujours plus d’armes en circulation sur le continent ?

Toutefois toutes les mesures mises en place ne permettent pas de réduire le nombre d'armes en circulation. Deux raisons majeures à cela.

D'une part, trop peu d’États africains mettent effectivement en œuvre les conventions qu’ils ont signées.  

D'autre part, trop peu de pays exportateurs rendent compte de leurs transferts d’armes à destination du continent.

Sans leurs contributions, il restera impossible de connaître le nombre exact de ces armes qui sèment la mort et la terreur en Afrique. 

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Sur cette photo de février 2015, des soldats libyens tentent de réparer une arme qui s'est enrayée lors d'affrontements à Al Ajaylat, à 120 kilomètres à l'ouest de Tripoli, en Libye. 

AP Photo/Mohamed Ben Khalifa

EN SAVOIR PLUS

Sources institutionnelles

Guide des armes légères et de petit calibre

Aperçu de la gestion des armes et des munitions en Afrique : Rapport sur l'état d'avancement 2023 - Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR)

Armes légères - Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies (UNODA)

Traité sur le commerce des armes - Bureau des affaires de désarmement des Nations Unies (UNODA)

Stratégie de l’Union africaine sur le contrôle de la prolifération, de la circulation et du trafic illicites des armes légères et de petit calibre - Union Africaine

Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre - CEDEAO - juin 2006.

Convention de l'Afrique centrale pour le contrôle des armes légères et de petit calibre - CEEAC - avril 2010. 

Traité sur le commerce des armes - ONU - avril 2013. 

Armes légères et de petit calibre - Organisation mondiale des douanes. 

Les armes légères et de petit calibre (ALPC) et la lutte contre les mines - OTAN - octobre 2023.
 

Rapports, ouvrages, articles académiques

Rapport sur le contrôle à l'exportation des armes légères et de petit calibre - Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) - 2019. 

Fiona Mangan et Matthias Nowak, La connexion sahélo-ouest-africaine, Une cartographie du trafic d’armes transfrontalier - Small Arms Survey - Décembre 2019.

Rapport : Boussole des armes, Cartographie des flux illicites d'armes légères en Afrique - Small Arms Survey - Janvier 2019 (lien en anglais).

"Une industrie malade ou moribonde ? - Small Arms Survey - Extrait du rapport 2002.

Daniel Banini, L'Afrique de l'Ouest confrontée à une crise des armes légères : pourquoi certains pays parviennent-ils mieux à la gérer que d'autres ? - The Conversation - mai 2023.

Mohamed Coulibaly, Du moratoire sur la circulation des armes légères et de petit calibre à la Convention de la CEDEAO : le rôle de la société civile - Oxfam - juin 2008.

Lauriane Héau et Clément Hut, La Convention de Kinshasa sur les armes légères entre en vigueur : et après ? - Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP) - mars 2017.

Prévenir et atténuer le risque de détournement d’armes en Afrique - Saferworld - avril 2022.

Comment le commerce des armes alimente le conflit au Soudan - Amnesty International France - novembre 2024.

Sahel : des armes serbes utilisées par des groupes armés - Amnesty International France - août 2021.

Soudan. Un afflux constant d’armes alimente les souffrances des civil·e·s dans les conflits – Amnesty International - juillet 2024. 
 

Dans les médias

L’instabilité alimente la prolifération des armes légères et de petit calibre dans la région du Sahel - Africa Defense Forum - novembre 2023.

Vente d’armes : les dépenses militaires mondiales n’ont jamais été aussi importantes - TV5MONDE - avril 2023.

Sénégal : le géant chinois de l’armement Norinco ouvre un bureau à Dakar - Agence Ecofin - août 2023.

La Turquie étend son influence en Afrique grâce aux ventes d’armes et aux accords sécuritaires - Agence Ecofin - novembre 2022.

Amnesty International dénonce les livraisons d'armes au Sahel - TV5MONDE (video) - août 2021.

Ces armes venant d'Europe qui circulent au Sahel - Deutsche Welle - août 2021.