Judokate marocaine plusieurs fois championne d’Afrique, Asmaa Niang a fait partie des meilleures athlètes mondiales. Portée par une détermination sans faille, elle a pu réaliser son rêve de Jeux Olympiques. À 41 ans, elle sort son premier livre À bras le corps, aux éditions Faces Cachées. Rencontre.
“Mon petit challenge personnel a toujours été de garder la discipline de l'entraînement quotidien”. Asmaa Niang est une guerrière. Française d’origine marocaine et sénégalaise, la judokate a gagné des titres de championne d’Afrique sous les couleurs du Maroc et a participé aux JO de 2016 et 2021 à Rio et Tokyo, son rêve de toujours.
Je voulais toujours finir la course en premier. Je devais être la première à chaque fois. Asmaa Niang, judokate marocaine
Née au Maroc, à Casablanca, d'un père sénégalais et d'une mère marocaine, Asmaa Niang rejoint sa mère en France à 11 ans, sans parler un mot de français. Elle a fait du sport une force dans sa vie, un moyen d’avancer, de ne jamais baisser les bras et de toujours se relever face aux obstacles. En un mot, sa résilience.
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Depuis sa tendre enfance, Asmaa se voit en super héroïne, et c’est le sport qui lui donne ses super pouvoirs. “Depuis que je suis petite, j’ai toujours voulu reproduire ce que faisaient les super-héros. C’était risqué parfois. Je pensais que je pouvais voler, je portais des choses lourdes, je me brûlais tout le temps”, lance-t-elle dans un fou rire.
Asmaa Niang à l'entraînement.
Ce qui la poussait, enfant, c’était aussi l’envie de gagner, coûte que coûte. “Je voulais toujours finir la course en premier. Je devais être la première à chaque fois. Il y avait une notion de compétition et de challenge, même enfant”, avoue l’athlète. “Cela m’a toujours habitée et le sport m’a aidée à me canaliser”.
Palmarès d'Asmaa Niang
6 fois championne d Afrique
8 fois médailles grand prix
Paris Grand slam
10 médailles open internationale
Médaille jeux méditerranéens
2 fois olympienne (Rio en 2016 et Tokyo en 2021)
Enfant, elle commence par l’athlétisme, et rate l’opportunité de faire un sport-études. Mais cela ne brise pas son rêve : participer un jour aux Jeux Olympiques. “Dans le terme ‘Jeux Olympiques’, il y a le mot jeu. Et pour l’enfant que j’étais les Jeux Olympiques, c’était c'était un métier où les adultes jouaient tout le temps. Pour la petite fille que j’étais, c’est devenu une obsession”, explique-t-elle. Elle remporte le championnat de France UNSS (Union national du sport scolaire) à plusieurs reprises. Elle se met ensuite au handball et devient championne de France des moins de 18 ans.
La difficulté est plutôt venue de l’approche des sponsors qui vous font moins confiance, en tant que femme. Asmaa Niang
C’est finalement le judo qui lui permettra de réaliser son rêve. Elle se met à pratiquer cet art martial assez tardivement pour du haut niveau. “Finalement je rencontre le judo à l'âge de 20 ans. C’est carrément improbable de commencer à cet âge-là pour espérer un jour faire les Jeux et être dans les meilleurs mondiaux. Mais c’est surtout le judo qui m’a trouvée”, confie-t-elle.
Le fait d’être une femme, plus âgée que les débutants n’a pas été un problème pour Asmaa, en tant que tel.“Sur les podiums, on gagne la même chose, homme ou femme. On s’entraîne ensemble”, explique-t-elle. C’est plus dans l’extra-sportif qu’elle a pu percevoir des comportements douteux. “La difficulté est plutôt venue de l’approche des sponsors qui vous font moins confiance, en tant que femme. Et puis mon parcours est atypique car j’arrive en débutante en étant déjà âgée”, précise la judokate.
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La jeune femme fait alors partie des sapeur pompiers de Paris. Une femme, arabe et noire, dans un environnement masculin et blanc. “J’étais une minorité dans la minorité”, explique-t-elle. “Je suis une femme, racisée dans un milieu très patriarcal. Certains étaient misogynes, certains étaient racistes, à l’image de la société. Je me suis concentrée sur ce qui me donnait de la force pour le dépasser”, détaille-t-elle. Sa force pendant cette période, c’est son rêve olympique. “Mon rêve était plus grand que leurs bêtises”, constate Asmaa Niang.
Elle intègre alors la sélection marocaine de Judo et enchaîne les titres, gardant toujours en ligne de mire les Jeux Olympiques. Jeux panarabes, Championnats d’Afrique, Jeux méditerranéens, Asmaa Niang cumule les médailles et voit l’échéance des Jeux de Rio arriver à grands pas.
Cette notion de double, voire triple culture a pu parfois déranger. Asmaa Niang
Mais là aussi, il a fallu trouver sa place et s’imposer. “Je suis ce qu’on appelle une MRE (marocain.e résident à l’étranger) et j’ai aussi des origines sénégalaises. Cette notion de double, voire triple culture a pu parfois déranger, explique la judokate, J’ai lu parfois des commentaires assez racistes sur les réseaux sociaux, mais je ne voulais rester déterminée à réaliser quelque chose de grand”.
Ne jamais se laisser abattre ou baisser les bras, c’est la mentalité toute épreuve d’Asmaa Niang. Elle se retrouve à participer à des compétitions internationales, en Asie, seule, sans kiné, sans coach avec sa seule détermination comme compagnie. “Je l’ai accepté parce que j’avais tout quitté pour être dans les meilleurs mondiaux, et pour aller à Rio en 2016”, confie l’athlète de 41 ans aujourd’hui. “Finalement je l’ai bien vécu parce que j’étais si heureuse de pouvoir vivre mon rêve. Pour moi, ce n’était que des détails dont je ne tenais pas compte, finit-elle par avouer, Cela m’a impactée par la suite, quand j’ai réalisé que je faisais partie des meilleures mondiales (4e) et que j’avais besoin des mêmes structures que les autres”.
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Asmaa Niang
Asmaa Niang participe finalement à ses premiers Jeux olympiques en 2016, à Rio, “une consécration” pour l’athlète. “Pour certains c’était impossible que je puisse me qualifier en allant combattre aux couleurs de mon pays natal. Je ne voulais pas être un quota africain. Je voulais entrer dans le top 16 mondial, dit-elle, C’était une promesse à moi-même, je devais mériter les Jeux”.
Malheureusement, Asmaa Niang est éliminée au premier tour de ces JO par la Brésilienne Maria Portela. Loin de voir cela comme un échec, Asmaa Niang se donne tout de suite une nouvelle échéance, Tokyo 2020. “Les journalistes me disaient que j’étais alors en fin de carrière (34 ans), alors que je venais d’arriver !”, ironise-t-elle.
Je suis un être profondément résilient. J'ai réussi à sublimer mes maux. Asmaa Niang
Elle persiste alors et continue les combats sur le tatami. Elle se laisse un an supplémentaire, puis un autre ; enchaîne les titres de championne d’Afrique et se qualifie finalement aux JO de Tokyo, prévus en 2020, mais reportés en 2021 à cause du COVID. Elle est éliminée en 16e de finale par l’Italienne Alice Bellandi.
Là encore, Asmaa n’abandonne pas et reprend la compétition : “Je suis un être profondément résilient. J'ai réussi à sublimer mes maux, mes échecs. Pour moi, tout est opportunité. Cela vient certainement de ma discipline”.
Chaque matin, inlassablement, Asmaa Niang fait ses entraînements musculaires. “Même quand ça ne va pas, quand il pleut, je suis cette routine d'entraînement. Le corps et l’esprit sont liés”, explique-t-elle. Être bien dans sa tête et dans son corps, c’est ainsi qu’Asmaa a créé sa propre thérapie par la pratique. “Je n’attends pas d’avoir une compétition pour m’entraîner. C’est tous les jours”, détaille-t-elle. A tel point qu’au lendemain des JO de Rio et Tokyo, tout le monde était surpris d’apprendre qu’elle ne faisait pas de pause et qu’elle retournait à l'entraînement tout de suite. “C'est mon sport quotidien, c’est un besoin”, poursuit-elle.
Fresque représentant Asmaa Niang, réalisée par le grapheur Barth, à Noisy le Grand.
Asmaa Niang vient de participer aux derniers championnats du monde de judo, mais ne s’est pas qualifiée pour les JO de Paris. Elle accompagne aussi certains sportifs dans leur préparation et a commencé une activité de thérapeute. Son combat, c’est celui de la pratique sportive du quotidien. “Je suis contre la sédentarité”, déclare-t-elle après son entraînement du jour. “C’est un sujet qui m’irrite parce que l’être humain ne devrait pas être sédentaire. Cela le met en danger non seulement physiquement mais aussi mentalement”, s’exclame-t-elle.Laissant de côté le sport à haut niveau, Asmaa Niang s’inquiète du manque de programmes publics favorisant la pratique sportive : “Je parle vraiment du sport santé, le petit sport pour être en forme. C’est vraiment un problème de santé publique. Faire du sport, c’est de la prévention sur les risques de santé mentale”.
J’aime raconter des histoires impactantes, en tirer des leçons, des messages, et transmettre des outils pour avancer. Asmaa Niang
Son nouveau challenge, c’est l’écriture d’un livre. Pas une simple autobiographie, mais un guide didactique thérapeutique pour guérir les blessures de l’âme. Dans A bras le corps, sorti le 13 juin aux éditions Faces Cachées, Asmaa Niang raconte des anecdotes de sa vie pour donner également des leçons de vie, des conseils pour dépasser les échecs et des recommandations d'œuvres culturelles pour accompagner les réflexions. “J’ai réalisé que cela faisait un petit moment que je voulais poser par écrit certains épisodes de mon parcours, et certaines de mes pensées. Ce qui comptait surtout, c’était d’être dans la transmission”, explique Asmaa Niang.
“Ecrire un livre pour faire une biographie classique m’intéressait peu, ajoute encore la judokate, J’aime raconter des histoires impactantes, en tirer des leçons, des messages, et transmettre des outils pour avancer”.
Livre "A bras le corps" d'Asmaa Niang, sorti le 13 juin 2024 aux éditions Faces Cachées
Avec ce nouveau projet, Asmaa Niang veut inspirer et pousser à la pratique sportive et thérapeutique pour reprendre le contrôle de sa vie. Et la confiance en soi en est l’outil majeur. “Pour avoir confiance en soi, il faut s’accepter et c’est un gros travail d’amour de soi à faire. Je le répète aux jeunes que j’accompagne, nous sommes notre premier projet”, affirme-t-elle. “Le petit courage de chaque matin est primordial. Est-ce que je me suis entraînée, est-ce que j’ai bien mangé, est-ce que j’ai bien dormi ? Avant de vouloir changer le monde, il faut changer ces trois choses dans sa vie”, énonce-t-elle dans un grand sourire. “Le travail sur soi, c'est le tout le petit geste qu'on peut faire pour soi”.
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