Le Gabon est appelé aux urnes ce samedi 26 août 2023. Près de 850 000 électeurs vont désigner leur président, leurs députés mais aussi leurs élus locaux. La présidentielle concentre toutes les attentions. Ali Bongo Ondimba y brigue un troisième mandat face à treize candidats.
“Certes, je n’ai plus la mobilité physique d’antan. Mais ma vivacité d’esprit, ma force de travail et ma motivation sont décuplées”. Dans une interview accordée en avril 2023 à Jeune Afrique, le président gabonais aborde la question de sa santé. Un sujet incontournable après l’AVC dont l'héritier de la dynastie qui règne sur le Gabon depuis 1967 a été victime en octobre 2018, en Arabie saoudite.
À l’époque, sa longue absence alimente rumeurs et spéculations bien au-delà de Libreville. Il apparaît dans une vidéo publiée deux mois plus tard depuis le Maroc aux côtés du roi Mohamed VI pour apporter une preuve de vie.
Moins de cinq ans plus tard et “délesté d’une quarantaine de kilos” selon le mensuel panafricain, c’est un Ali Bongo Ondimba requinqué qui brigue cette année un troisième mandat. Occupant du Palais du Bord de mer depuis 2009, après la mort de son père Omar Bongo, Ali Bongo a cette année face à lui treize autres candidats.
Ali Bongo Ondimba aux côtés de son épouse Sylvia Bongo Ondimba, lors d'un meeting à Libreville en juillet 2023.
Dans les derniers jours de la campagne, tous les regards se sont tournés vers un homme, Albert Ondo Ossa. Ancien ministre de l’Éducation sous Omar Bongo, ce professeur d’économie de 69 ans a été désigné le 18 août candidat d’Alternance 2023, une coalition des principaux partis d’opposition. L’homme, originaire de Woleu-Ntem, dans le nord du Gabon, est un catholique pratiquant, marié et père de cinq enfants. Présenté comme “candidat consensuel” par Alternance 2023 à la surprise générale, Albert Ondo Ossa est qualifié de “déterminé” par son entourage. “Les autres ne sont pas derrière moi mais autour de moi” insiste le candidat pour illustrer le consensus autour de sa désignation.
Le candidat "consensuel" de l'opposition lors d'un déplacement en province le 22 août.
Parmi les douze autres candidats, à noter toutefois la présence d’un dissident d’Alternance 2023. Pierre Claver Maganga Moussavou, vice-président à l'issue du dialogue national qui avait suivi la crise post-électorale de 2016, se présente pour la 5e fois. Il a refusé de s’aligner derrière une candidature unique, estimant que les tractations manquaient de sincérité et revenaient à prendre les Gabonais “pour des moutons de Panurge”.
Le 24 juillet dernier, le Centre gabonais des élections (CGE) a validé 19 candidatures. Nous en mentionnons ici la liste officielle. La mention (R) précédant certains noms signifie que le candidat ou la candidate s’est retiré.e au profit d'Albert Ondo Ossa.
(R) Hugues Alexandre Barro Chambrier (RPM), Jean Delor Biyogue Bi Ntougou (Indépendant), Ali Bongo Ondimba (PDG), Gérard Ella Nguema Mitoghe (FPG), Jean Romain Fanguinoveny (PPG), (R) Thérence Gnembou Moutsona (PRC), Axel Stophène Ibinga Ibinga (Indépendant), (R) Mike Steeve Dave Jocktane (Indépendant), Victoire Lasseni Duboze (Indépendant), Pierre Claver Maganga Moussavou, (PSD), Joachim Mbatchi Pambo (UFC), Abel Mbombe Nzondou (Indépendant), (R) Paulette Missambo (UN), Jean Victor Mouanga Mbadinga (MESP), Emmanuel Mve Mba (Indépendant), Thierry Yvon Michel N’goma (Indépendant), (R) Raymond Ndong Sima (Indépendant), Albert Ondo Ossa (Indépendant), Gervais Oniane (UPR/EPI/RDI).
Des polémiques dans la campagne
Au-delà des débats sur le fond des programmes électoraux, plusieurs polémiques ont émaillé la campagne et alourdi le climat politique.
En avril dernier, une modification constitutionnelle a rendu le mode d’emploi de ce triple scrutin délicat à appréhender.
À l’issue d’un dialogue national boudé par une importante frange de l’opposition deux mois plus tôt, il a été décidé d’harmoniser la durée de tous les mandats électoraux. Ils sont tous ramenés à cinq ans et sont désormais renouvelables ad vital aeternam. Retour donc notamment au quinquennat pour le président gabonais. Le scrutin présidentiel se joue, en outre, en un seul tour.
Cette harmonisation des mandats électoraux - gage d’"efficacité" et d’"économie", estime Ali Bongo – s'accompagne d’une réforme des règles du vote.
En l'absence totale d'observateurs internationaux, les 850000 électeurs gabonais découvriront ce samedi 26 août le “bulletin unique”. Qualifié de “bulletin inique” par l’opposition, il contraindra l’électeur à voter pour la même couleur politique aux législatives et à la présidentielle. Dans le cas de candidats indépendants, l’électeur devra donc choisir s’il vote pour la présidentielle ou pour les législatives...
Autre nouveauté, là encore dans l’isoloir, le bulletin exclu par l’électeur ne sera plus glissé dans une enveloppe annexe, dite “enveloppe poubelle” mais devra être jeté à la corbeille. Selon Jeune Afrique, cette règle, décidée en fin de campagne électorale, favorise, d'après ses détracteurs, la corruption des électeurs qui ont, du coup, entre les mains, une preuve de leur choix de vote.
Les nouveautés en terme d'organisation du scrutin n'ont pas épargné, non plus, les Gabonais de l'étranger. Au matin du mercredi 23 août, RFI donne la parole à des électeurs gabonais de Marseille dans le sud de la France. Colère. Des manifestations sont annoncées. En cause, le nombre très limité de bureaux de vote à travers le monde à la disposition des 17000 Gabonais de l’étranger.
À Libreville, l’ONG “Tournons la page” explique que, concernant la France par exemple, seuls deux bureaux de vote seront ouverts le 26 août, l’un à Paris, l’autre à Bordeaux dans le sud-ouest. Les électeurs marseillais se disent exclus du vote. L’un d’eux, interrogé par RFI explique : “On est un peu les mauvais enfants du Gabon, parce qu’on vote généralement contre le régime en place. Le fait de retirer les Gabonais qui sont soit en Amérique du Nord, en Europe ou en Afrique du Sud, cela veut dire qu’ils ont peur de ne pas pouvoir reconduire leurs candidats et leur parti aussi”.
Pour toute explication à la fermeture de nombreux bureaux de vote, RFI précise que le ministère gabonais de l'Intérieur a pointé du doigt la CGE en charge de l'organisation du scrutin. La CGE pour sa part renvoie la responsabilité... au ministère de l'Intérieur.
Jeudi 24 août, à deux jours du vote, rebondissement. Le nombre de bureaux de vote à travers le monde est soudain revu à la hausse. Pour la France, par exemple, les électeurs pourront finalement aller voter dans 16 bureaux ! Les Marseillais, notamment, auront été entendus.
Une diaspora derrière l'opposition
En 2020, l’Institut français des relations internationales (IFRI) a publié un rapport intitulé "La diaspora gabonaise d'opposition en France : une mobilisation politique à l'épreuve de la crise post-électorale de 2016". Le travail mené par la chercheuse Delphine Lecoutre confirme l’engagement de la majorité de la diaspora gabonaise en France en faveur de l’opposition. Le rapport s’appuie notamment sur les résultats du vote lors de la présidentielle de 2016 : "Dans les sept bureaux de vote en France, les chiffres varient entre 75 % au minimum et 92 % au maximum en faveur du candidat Jean Ping", peut-on lire dans le document. Pour son auteure, “si les efforts et les effets de cette mobilisation diasporique sont multiples, son impact reste pour le moment plus médiatique que réellement politique. Néanmoins, ce laboratoire de contestation diasporique semble désormais contribuer au renouvellement de la classe politique gabonaise et influencer le destin politique du Gabon”.
S'il n'existe pas de données fiables , on estime toutefois le nombre de Gabonais établis à l'étranger entre 40 000 et 50 000 personnes.
Les près de 847 000 électeurs gabonais trouveront en fait deux urnes lors de leur passage au bureau de vote ce samedi 26 août. La première concerne la présidentielle et les législatives. Ils y glisseront le fameux bulletin unique. La seconde urne servira pour les élections locales. Les Gabonais vont en effet renouveler leurs conseils départementaux et municipaux. Cet alignement de tous les scrutins est le fruit de la réforme constitutionnelle entérinée par le Parlement en avril 2023. Les élus locaux sont eux aussi réélus pour cinq ans sans limitation du nombre de mandats.