
Goma va-t-elle tomber aux mains du M23 ? La ville congolaise est le théâtre de tirs d’artillerie depuis le 26 janvier. Entretien avec Thierry Vircoulon, chercheur au centre Afrique subsaharienne de l’IFRI
Goma, principale ville de l'est de la République démocratique du Congo, s'est réveillée ce 27 janvier en plein chaos et secouée par des tirs d'artillerie lourde. La veille, des combattants du groupe armé du M23 et des soldats rwandais sont entrés dans la ville. Le Rwanda est accusé par un groupe d'experts de l'ONU de soutenir le M23.
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Thierry Vircoulon est chercheur au centre Afrique subsaharienne de l’IFRI. Il considère que ce scénario est similaire à celui de 2012, lors de la bataille entre le M23 et Goma.
Goma déjà prise par le M23 par le passé
Entre juillet et décembre 2012, la ville de Goma a déjà été le théâtre d'affrontements entre le groupe armé du M23 et les forces congolaises.
Le 20 novembre 2012, Goma et ses alentours tombent aux mains du M23.
Les forces armées congolaises mènent ensuite une contre-offensive avec l'aide d'une milice pour déloger les rebelles.
Après des combats, le M23 demande une négociation avec le président Kabila afin de rétablir la paix en RDC.
Le 24 novembre, aux termes d'une médiation des pays des Grands Lacs, le M23 accepte de se retirer de la région en échange de l'ouverture de négociations avec le pouvoir congolais.
Le 1er décembre, le groupe armé quitte Goma, en direction des positions qu'il occupait dans le Nord-Kivu avant la prise de Goma.
TV5MONDE : Goma s'"apprête à tomber" dans les mains du M23, selon le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. Ce scénario rappelle celui de la bataille de Goma en 2012. La situation est-elle la même ?
Thierry Vircoulon : On est de retour dans une situation similaire à celle d’il y a 13 ans. Ce qui a changé c'est qu'en plus maintenant sur le champ de bataille il y a l'armée sud-africaine qui est au Nord-Kivu, alors que ce n'était pas le cas en 2012. Elle est arrivée en 2013, mais d'après ce que j'entends, ils ne s'opposent pas à l'avancée du M23 et ils restent dans leur base près de Goma.
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Et puis il y a des mercenaires franco-roumains qui ont été loués par le gouvernement congolais. C'est l'armée rwandaise qui soutient massivement le M23 depuis trois ans. Grâce à l’armée rwandaise, le M23 qui n’est pas très nombreux de base a pu acquérir une supériorité militaire face à l’armée congolaise.
Sinon, c'est exactement la même configuration. Les casques bleus de la MONUSCO sont toujours là, comme en 2012 et puis les supplétifs de l'armée congolaise. Aussi ce qui ne change pas, c'est évidemment l'inefficacité totale de l'armée congolaise, qui a déjà eu lieu en 2012.
TV5MONDE : Comment les autorités congolaises ont-elles repris le dessus à l’époque ?
Thierry Vircoulon : Elles n'ont pas repris le dessus à l'époque, c'est New York, les Nations Unies qui ont réagi puisqu'ils étaient très humiliés par la prise de Goma. Donc c'est Ban Ki Moon (NDLR : secrétaire général de l’ONU de l’époque) qui avait décidé de repartir à l'offensive.
Il y avait une contre-offensive avec les casques bleus et l'armée congolaise.
Thierry Vircoulon, chercheur à l'IFRI
La MONUSCO avait donc appelé au secours l'armée sud-africaine, qui avait envoyé des unités, intégrées dans les casques bleus, qui ont mené une contre-offensive contre le M23 en se coordonnant avec l'armée congolaise. Donc il y avait une contre-offensive avec les casques bleus et l'armée congolaise. C'est comme ça qu'ils ont défait le M23.
TV5MONDE : Quelle est la situation à Goma en ce moment ?
Thierry Vircoulon : J'ai l'impression que c'est calme. J'ai vu que l'Alliance Fleuve Congo (AFC), qui est le visage politique du M23, a fait une déclaration, un communiqué en disant que le temps qu'ils avaient donné pour que l'armée congolaise dépose les armes était écoulé. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup de résistance pour le moment.
TV5MONDE : Au niveau diplomatique, quelles sont les réactions de la part du Rwanda - accusé par un groupe d'experts de l'ONU de soutenir le M23 - et de la République démocratique du Congo ?
Thierry Vircoulon : Il y a eu une rupture des relations diplomatiques qui a eu lieu ce week-end. Kinshasa a rappelé son ambassadeur. Et puis, il y a eu une réunion de l'East African Community (Communauté d'Afrique de l'Est) en urgence qui est prévue incessamment sous peu afin de prévoir une médiation entre les deux parties.
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Par ailleurs, la RDC mène une offensive diplomatique auprès de l’ONU à New York. Elle cherche à obtenir des sanctions à l’encontre du Rwanda.
TV5MONDE : Est-ce que le gouvernement congolais s’attendait à ce que Goma soit attaquée ?
Thierry Vircoulon : Goma est encerclée depuis un an. Le M23 a encerclé Goma progressivement. Là, depuis une semaine, il se rapprochait de Goma. Les militaires congolais avaient compris qu'il y avait péril en la demeure.
La prise de Goma va probablement déclencher des discussions au sein de la East African Community, pour une négociation entre Goma et le gouvernement congolais et le M23.
Thierry Vircoulon, chercheur à l'IFRI
TV5MONDE : Quelles seraient les conséquences d’une prise de Goma par le M23 ?
Thierry Vircoulon : Je crois que l'armée congolaise n'est probablement pas en état de réagir. Le gouverneur militaire du Nord-Kivu a été abattu la semaine dernière. Après, on va voir. La prise de Goma va probablement déclencher des discussions au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est, pour une négociation entre Goma, le gouvernement congolais et le M23.
Après, je n'ai pas l'impression qu'il puisse y avoir beaucoup de choses qui se passent à Goma. Évidemment, la population est très effrayée. Il y a des gens qui peuvent essayer de partir, mais j'ai vu que les bateaux étaient interdits entre Goma et Bukavu. En fait, Goma, c'est un cul-de-sac. Le M23 contrôle les deux routes qui sortent de la ville. Et de l'autre côté, l'ennemi, c'est le Rwanda. Les gens ne peuvent pas sortir. Ils sont coincés là. Ce sera assez compliqué pour ceux qui veulent sortir.