« En Afrique, la photographie est omniprésente dans les cérémonies de la vie comme les mariages, les baptêmes, les funérailles. Ici, « on aime sortir la phase », c’est-à-dire prendre une position appropriée pour immortaliser l’instant. La photographie fait partie du quotidien. Pourtant, lorsqu’il s’agit de voir cette Afrique à travers le regard d’un artiste, tous ces hommes et femmes qui adorent la photographie sont absents. » C’est en ces termes que le fondateur de Photosa, le photographe burkinabé Adrien Bitibaly, dresse le constat implacable de l’absence de popularité de la photographie d’art.
Photographe professionnel et reporter, formé notamment à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, en France, Adrien Bitibaly fait très tôt le constat qu’au Burkina Faso, les expositions photographiques attirent surtout les catégories les plus privilégiées de la population. Malgré la gratuité de certaines manifestations, le grand public n’est pas souvent au rendez-vous.
Dès la première édition, lancée en 2021 à l’initiative d’Adrien Bitibaly et du CERPHOB, le Cercle des photographes du Burkina Faso (une association qu’il préside et qui sert de cadre d’expression et d’action aux photographes burkinabé), Photosa, la biennale photographique de Ouagadougou, fait le choix de s’installer chez l’habitant.
(Re)voir : Quelques images de l'édition 2021 de la biennale de Ouagadougou"
A l’instar d’un autre grand événement artistique burkinabé, le festival de théâtre «Les Récréatrales », Photosa présente la photographie d’art dans les cours familiales et les espaces publics de Wemtemga, un quartier populaire de Ouagadougou, la capitale burkinabé.
« La photographie ne fait pas partie des arts qui sont valorisés au Burkina Faso, souligne Adrien Bitibaly, au-delà des expositions qui sont parfois organisées par les structures telles que l’Institut Français ou le Goethe Institut. Elle reste avant tout un moyen de documenter les évènements publics ou privés et n’est pas perçue comme un art. Pourtant, Ouagadougou accueille de nombreux évènements culturels (le FESPACO, le SIAO, les Récréâtrales, le FITMO, les REMA…). Mais la photographie ne connaissait pas d’évènement marquant dans la capitale burkinabè : nous l’avons donc créé, pour donner à cet art toute la place qu’il mérite. »
Pour cette deuxième édition, 16 photographes d’horizons très divers s’exposent de la même manière autour du cinéma de Wemtemga et dans les rues adjacentes. Comme pour la première édition, les familles du quartier sont associées à l’organisation. Des photos leur seront par ailleurs gracieusement offertes, afin qu’elles les intègrent dans leurs lieux de vie. « Photosa est une ouverture au monde, affirme Adrien Bitibaly. L’idée est d’une part, de permettre aux photographes burkinabè de découvrir différentes pratiques photographiques, et d’autre part, de permettre au public burkinabè de découvrir le monde. Car rares sont ceux qui ont l’opportunité de voyager. L’intérêt est de croiser des artistes internationaux avec des artistes burkinabés. Pendant le festival, les rencontres et les discussions font la richesse pour tous. Ce croisement est bénéfique aux artistes Burkinabé, pour qu’ils progressent sur leurs projets. »
Sur place, les photographes présents sont aussi invités à réaliser un travail pédagogique avec les familles qui accueillent leurs œuvres, l’occasion pour eux d’échanger autour de leur démarche artistique.
Cette édition 2023 de la biennale rend hommage au photographe américain David Pace, décédé en 2020. Pendant près d’une dizaine d’années, David Pace a réalisé un travail photographique à Bereba, dans le centre-ouest du Burkina Faso. Celui-ci a été présenté à Venise lors de la Biennale de 2019. Et pour l’un de ses nombreux séjours à Bereba, Adrien Bitibaly a été son assistant durant un mois. « Lorsque le photographe disparaît, témoigne aujourd’hui Adrien Bitibaly, sa carrière continue : ses images peuvent continuer à inspirer les gens qui les regardent, même si l’artiste n’est plus là pour les présenter et que d’autres prennent le relais afin de le célébrer. »
Parmi les jeunes photographes invités cette année, il y a la malienne Kani Sissoko. Née en 1988 et considérée comme une photographe intimiste, Kani Sissoko s’intéresse notamment à la situation des femmes de son pays.
Aujourd’hui encore au Mali, il n’est pas rare de constater que l’on inculque encore aux filles, dès leur plus jeune âge, que leur futur mari est comme un deuxième Dieu pour elles, et que leur salut dépend de leur degré de soumission à celui-ci. Parfois réduites au silence après le mariage, ces femmes n’ont souvent que les murs de leurs maisons comme témoins de leur quotidien.
Intitulée « Quand les murs parlent », la série de photos présentée durant cette biennale par Kani Sissoko « parle du lien qui existe entre les femmes et les murs dans la société malienne. »
Concernant la formation, il n’y a pas aujourd’hui de formation professionnalisante en photographie d’art au Burkina Faso.
Adrien Bitibaly, photographe
Autre aspect important de cette biennale, les formations et les ateliers en photographie d’art à tous ceux qui souhaitent embrasser cette carrière.
Durant quatre semaines, en amont du festival, professionnels et amateurs, une trentaine de personnes au total, se sont ainsi formés à la photographie, au commissariat d’exposition ou encore à la lecture de portfolio.
« Concernant la formation, précise Adrien Bitibaly, il n’y a pas aujourd’hui de formation professionnalisante en photographie d’art au Burkina Faso. Et le métier de photographe n’est pas reconnu comme un vrai métier. J’ai moi-même eu beaucoup de difficultés à me former. J’ai eu la chance de partir à l’étranger pour compléter ma formation, et j’ai donc décidé de transmettre un maximum de connaissances. Nous proposons donc des formations, mentorats et ateliers professionnalisants pour offrir une base solide à ceux qui souhaitent se lancer dans une carrière d’auteur. »
Il est possible de soutenir Photosa en faisant un don en ligne via la plateforme au lien ci-contre : https://www.helloasso.com/associations/douni-art/collectes/photosa-acte-2.