Comores : la diaspora inquiète de la montée des heurts dans l'archipel

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Comores : la diaspora inquiète de la montée des heurts dans l'archipel (1)
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Mis à jour le
18 janvier 2024 à 18:51
par Pierre Desorgues

L'annonce de la victoire du président sortant, Azali Assoumani, à la présidentielle reste contestée dans l'archipel mais également au sein de la diaspora. Une diaspora influente politiquement et économiquement. Plus de 800 000 Cormoriens vivent dans le monde, dont 300 000 en France, contre un peu plus dans l'archipel. Face aux heurts et trouples politiques dans le pays des membres de la diaspora s'alarment. Témoignages.

L'homme a préféré choisir l'exil et il ne compte pas revenir dans l'archipel rapidement. "J'ai pris l'avion en 2004, direction la France. Et je sais que si je rentre je serais arrêté sur le tarmac de l'aéroport et jeter en prison comme tant d'opposants." Omar Mirali est écrivain et un opposant du pouvoir actuel du président Azali Assoumani. Il vit à Paris.

L'opposant exilé salue le réveil de la jeunesse. Depuis mercredi 17 janvier aux Comores, des jeunes "combattent" avec des pierres la réélection d'Azali. Une personne a été tuée et cinq personnes ont été blessées dans les heurts qui ont suivi l'annonce des résultats électoraux. "Ces émeutes constituent une révolution, une mobilisation citoyenne", estime l'opposant.

Lire : le président sortant Azali annoncé vainqueur dès le premier tour

"Ce qui s'est passé politiquement lors de ce scrutin est grave. Azali Assoumani a imposé une nouvelle Constitution pour pouvoir concourir à un nouveau mandat. Il s'est emparé des moyens de l'Etat pour faire campagne à son profit, tous les services de l'Etat, des pompiers pour ses meetings à une omniprésence sur la télévision nationale", décrit Omar Mirali.

Le président Azali Assoumani a été élu une première fois en 2016. De retour au palais présidentiel de Beit Salam il a éliminé en quelques mois les obstacles politiques devant lui. La Cour constitutionnelle est dissoute. En 2018, la Constitution est modifiée pour étendre d'un à deux mandats la durée de la présidence. Il organise une élection anticipée 2019 pour se mettre en position de birguer un troisième mandat. Il a aussi fait arrêter ses principaux opposants, dont l'ancien président Ahmed Abdallah Sambi, condamné en 2022 à la prison à vie pour corruption, à l'issue d'un procès dénoncé comme inéquitable par l'opposition.

"Cette éléction n'en est pas une. Nous, opposants, demandons le retour à la Constitution et au retour de la présidence tournante à un mandat ainsi que la libération des prisonniers politiques", indique Omar Mirali.

Lire : qui est Azali Assoumani, l'actuel président des Comores et candidat à un nouveau mandat ?

Il y a une grande frustration de la part des Comoriens de France. Ils n'ont pas pu voter.

Omar Mirali, écrivain et opposant au pouvoir comorien

Le président sortant a été donné vainqueur dès le premier tour avec 62,97% des suffrages exprimés, selon la commission électorale mardi 16 janvier, alors que l'opposition dénonçait "fraude électorale" et "bourrages d'urnes". Le pouvoir dément toute fraude. Le président sortant lui se dit "profondément démocrate". La participation à ce scrutin dépassait les 16% du corps éléctoral.

Pour se défendre de toute accusation de dérive autoritaire, ce colonel de 65 ans aime rappeler qu'il a déjà quiiter le pouvoir pacifiquement pour le donner aux civils en 2006. Avant cela il a dirigé le pays pendant sept ans suite à un coup d'État.

Ce score en tous cas ne passe pas chez les jeunes comoriens qui manifestent dans l'archipel. Il ne passe pas non plus au sein de la diaspora comorienne en France. Les Comoriens et les Franco-Comoriens sont un peu plus de 300 000 en France. Et ils n'ont pas eu la possibilité de voter.

Un pays dépendant économiquement de sa diaspora

"Il y a une grande frustration de la part des Comoriens de France. Ils n'ont pas pu voter. Le pouvoir n'a pas voulu qu'il se prononcent car il sait que cette diaspora est fortement politisée et est contre toute forme de régime autoritaire et cette diaspora n'est pas favorable à Azali Assoumani et le pouvoir le sait très bien. La diaspora est seulement perçue comme une vache à lait par le pouvoir destinée à soutenir économiquement le pays", explique l'opposant Omar Mirali. La Constitution pourtant garantit théoriquement à la communauté comorienne de l’étranger, estimée à 400 000 personnes dans l’Hexagone, de pouvoir élire son président.

Les Comoriens hors de l'Archipel sont un peu plus de 800 000 presque le total de la population dans l'archipel. Ahamada Smis est rappeur, musicien aussi de ce que l'on appelle la World Music. Il est originaire de Marseille. Ses grands-parents sont arrivés dans la cité phocéenne dans les années 60. Il est un Franco-Comorien de la troisième génération.

À Marseille, la diaspora est remontée contre Azali Assoumani.

Ahamada Smis, artiste et musicien.

Selon lui la question du vote de la diaspora est un enjeu secondaire. "Pour moi il ne s'agit pas réellement d'une élection. Les opposants sont en prison. Avant l'élection de 2019 on trouvait des Comoriens en France qui votaient pour Azali Assoumani. Ce n'est plus le cas depuis son coup d'État électoral et constitutionnel. À Marseille, la diaspora est très remontée contre lui. De fait même sans voter les Comoriens de la diaspora ont toujours donné le ton politique au pays lorsque le scrutin était transparent. Le pays est complètement dépendant de l'aide financière de la diaspora. Plus de 20% du PIB de l'archipel (chiffre confirmé par l'Agence française pour le développement) vient de l'argent. Les membres de la diaspora avaient tendance à dire aux Comoriens de l'archipel qu'ils soutiennent financièrement pour qui voter", décrit Ahamada Smis.

"Lors du scrutin de 2019 les opposants étaient venus faire campagne alors que les membres de la diaspora déjà ne pouvaient pas voter car ils savaient que la diaspora était très influente politiquement et pouvait faire le vote. Durant cette campagne les opposants ne se sont même pas déplacés car le scrutin n'était pas jugé comme étant transparent. Le président sortant en 2019 était venu à Paris. Il avait été fortement chahuté par les opposants et par des membres de la diapora", décrit Ahamada Smis.

Ici à Marseille nous sommes tous le temps sur nos téléphones. On essaie d'avoir des nouvelles de là bas. J'ai encore une tante dans l'archipel. J'essaie de rester en contact avec des artistes.

Ahamada Smis, artiste et musicien, vivant à Marseille.

Dans quel état d'esprit se trouve aujourd'hui la diaspora en France ? "Nous sommes tous le temps sur nos téléphones. On essaie d'avoir des nouvelles de là bas. J'ai encore une tante dans l'archipel. J'essaie de rester en contact avec des artistes. On a essayé de jeter des ponts culturellement entre la diaspora et les gens de l'archipel. Il ne reste plus qu'un centre culturel dans l'archipel soutenu par l'ambassade de France", explique l'artiste.

La France n'ose pas trop réagir. Paris doit faire face à une forte pression migratoire venant des Comores. Et Azali Assoumani sait que Paris a besoin de lui sur cette question. Un accord migratoire a été signé dans ce sens en 2019.

Omar Mirali, écrivain et opposant au pouvoir comorien.

"Le pays vit sous perfusion de la diapsora. J'ai aidé et j'ai embauché des jeunes lors des projets culturels que j'ai monté là bas mais il faut vraiment que le pays puisse se développer économiquement par lui-même. C'est un des grands échecs de Azali Assoumani", décrit Ahamada Smis. L'artiste craint que le pouvoir actuel réprime violement la contestation dans la rue. "Il ne faudrait pas que ces jeunes, qui décident de manière courageuse de manifester pour réaffimer une forme de dignité politique, prennent des balles. Il faut que l'opposition donnes donner des consignes à ces jeunes." L'opposition a appélé à une grande manifestation vendredi 19 janvier dans les rues de Moroni pour contester les résultats.

L'ONU demande un retour au calme. Dans un communiqué, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, demande également aux autorités de protéger les "principes démocratiques" et appelle les manifestants à éviter le recours à la violence. "Il est absolument nécessaire que les autorités garantissent un climat sûr, où tous les Comoriens et Comoriennes, y compris les membres de l'opposition, puissent exprimer librement leurs opinions", estime Volker Türk.

L'Union européenne demande à "toutes les parties à poursuivre le processus de manière pacifique". L'Union africaine, elle, a jugé que le scrutin étaient entaché "d'aucunes irrégularités". "

La France n'ose pas trop réagir. Paris doit faire face à une forte pression migratoire venant des Comores. Et Azali Assoumani sait que Paris a besoin de lui sur cette question. Un accord migratoire a été signé dans ce sens en 2019", estime l'opposant Omar Mirali.