Les binationaux particulièrement laissés pour compte
Dans un premier temps, Mounir a pu compter sur l’hospitalité de ses amis, mais au bout de trois mois, il se retrouve à la rue, comme beaucoup de Marocains dans sa situation.
"J’ai rencontré une mère de famille avec un enfant en bas âge qui dort dans une gare. Certains marocains sont même contraints de faire la manche, vous imaginez ?". Mounir n’a pourtant pas l’habitude de se plaindre, mais là, c’en est trop, il
« est exténué psychologiquement et se sent renié par le gouvernement marocain".
Né au Maroc, Mounir a vécu en France plusieurs années avant de retourner vivre dans sa ville natale, Casablanca. Aujourd’hui il bénéficie donc d’un passeport français et d’un passeport marocain, une double nationalité, loin d’être une exception, qui lui a pourtant coûté cher.
"Le message du gouvernement marocain a été clair, « les binationaux ne seront en aucun cas rapatriés »,
comme si notre binationalité était une tare », s’insurge Mounir.
"J’ai choisi de vivre au Maroc, par confort, et pour avoir une meilleure hygiène de vie. Aujourd’hui je me pose vraiment des questions car je ne me sens pas soutenu par le gouvernement marocain. Les binationaux ont littéralement été reniés".
Comme Mounir, Younès Abdelai est binational. Les deux hommes se sont d’ailleurs rencontrés au consulat d’Orly puis aux nombreuses manifestations organisées devant l’ambassade du Maroc à Paris.
Début mars, Younès est venu en France pour des raisons professionnelles, accompagné de son petit garçon de 5 ans, Jalil. Depuis, ils sont tous les deux boqués en région parisienne. Depuis bientôt quatre mois, Younès et son fils tentent désespérément de rentrer chez eux, autant de mois que Jalil n’a pas vu sa maman.
Car, si près de 11.000 Marocains ont pu regagner leur pays ces dernières semaines, ils n’en font pas partie, là encore parce qu’ils sont binationaux.
"Dès le 15 mars j’ai contacté les numéros d’urgence mis en place par l’ambassade du Maroc », se souvient Younès rappelant que
"le gouvernement avait dit qu’il prendrait en charge les gens dans le besoin ». Malgré une situation financière précaire et un enfant en bas âge à charge, Younès n’a eu le droit
"à aucune aide", si ce n’est une carte cadeau de 50 euros pour une grande surface française.
"On m’a bien fait comprendre que ce serait la première et la dernière fois. Là encore, je n’étais pas prioritaire, seuls les marocains n’ayant qu’une nationalité seraient concernés par cette aide".
Sans aide ni ressources financières, Mounir et Younès ont dû empreinter de l’argent à des amis et se tourner vers les associations.
"Sur quatre mois, j’ai dû emprunter 3 000 euros autour de moi, d’autant plus que je ne suis pas au bout de mes dépenses", s’inquiète Mounir.
- (Re)voir aussi : Coronavirus : la colère des Marocains bloqués à l'étrange
14 juillet : la fin du tunnel ?
Mercredi 8 juin, une lueur d’espoir se dessine pour Mounir et Younès. Après quatre mois de quasi inaction, le gouvernement marocain annonce officiellement que tous les marocains et les résidents étrangers du Maroc pourront rejoindre le royaume dès le 14 juillet. Un soulagement ? Peut-être pas.
" Dans un premier temps, nous avons été soulagés mais il y a une telle désorganisation ! Les informations arrivent au compte-gouttes", affirme Mounir.
"On était content le jour où ça a été annoncé, mais on a vite commencé à déchanter", confirme Younès. Car pour pouvoir rentrer sur le territoire marocain, un test de dépistage du Covid-19 sera obligatoire, examen qui se fera encore une fois à leur frais.
Dès qu’il a appris la nouvelle via les réseaux sociaux, seule source d’information fiable face au silence du gouvernement marocain, Younès est allé récupérer son ordonnance pour se faire tester 48h avant son départ, délai imposé par le gouvernement marocain. Au total, il en aura pour plus de 200 euros pour lui et son fils. A cela, s’ajoutera le prix de ses billets d’avion. Mais là encore, le manque d'information et de moyens mis en place inquiète.
"Depuis mercredi tout le monde essaie de commander ses billets donc obligatoirement le site à très vite été saturé et les prix sont très vite passés du simple au double", constate Younès.
"D’autant que seuls deux compagnies aériennes sont habilitées au rapatriement, la RAM (Royal Air Maroc) et Air Arabia. Les Marocains ayant pris des billets via d’autres compagnies ne seront pas pris en compte et encore moins remboursés ".
Mounir lui, est véhiculé, il devra donc prendre le bateau. Entre le transport, l’essence et les frais de péage, il va encore devoir débourser près de mille euros. Une somme exorbitante qui vient s’ajouter à quatre mois de précarité financière.
"Je vais devoir aller prendre mon bateau en Italie, car seuls deux ports sont ouverts, Gênes et Sète en France. Mais, dans mon malheur, j’ai de la chance car beaucoup de personnes n’ont pas les moyens de financer leur tests et leur retour".
« Mettre en place un rapatriement humanitaire »
En Belgique non plus l’annonce du gouvernement n’a pas convaincue.
"Cela n’a pas de sens. Annoncer à des personnes qui sont bloquées depuis quatre mois, sans ressources financières, qu’elles pourront rentrer chez elle à condition qu’elles en aient les moyens, c’est indécent", s’indigne Zahra Hamdi, porte-parole des marocains bloqués en Belgique. Depuis le 16 mars, Zahra Hamdi n’a eu de cesse de réclamer de l’aide pour ses concitoyens, auprès des consulats et de l’ambassade du Maroc à Bruxelles. A chaque fois la réponse a été la même :
"zéro". Aujourd’hui elle réclame la mise en place
"d’un rapatriement humanitaire", car comme elle le rappelle,
"les Marocains bloqués à l’étranger sont dépourvus de tout. Le gouvernement doit prendre ses responsabilités en payant les tests sérologiques et les billets d’avion".
- (Re)voir aussi : Maroc : des centaines de Marocaines et Marocains se déclarent « hors-la-loi » pour défendre leur liberté
A la veille de la réouverture des frontières marocaines, les doutes subsistent, Younès et Mounir ne se font pas d’illusions.
"Je ne sais même plus quoi réclamer au gouvernement marocain", confit Mounir.
"Dans un premier temps, j’attends des excuses, mais les excuses ne suffiront pas. Je pense qu’une plainte devrait être déposé pour non-respect des Droits de l’Homme, ensuite se posera, bien sûr la question des dédommagements financiers".