Un contexte particulier ?
Bien entendu, tout n'a pas été parfait sur le continent, avec des problèmes de refus de certains groupes de personnes de ne plus se réunir ou d'accepter la réalité du virus, de la même manière qu'en Europe ou aux Etats-Unis. Dans ces cas de figure, comme au Sénégal ou au Maroc, les médecins aidés des autorités sanitaires ont communiqué dans les médias pour alerter la population, avec parfois des menaces de sanctions pénales des gouvernements pour ceux qui produiraient ou relayeraient des fausses informations sur le virus ou la réalité de l'épidémie.
Au-delà de la très bonne gestion sanitaire par anticipation des autorités et la bonne attitude de la majorité des populations, des explications liées au contexte africain ont été avancées pour expliquer la faible progression du virus sur le continent. Celle du climat, qui par la chaleur serait défavorable au virus, n'a jamais été démontrée scientifiquement. Mais d'autres facteurs sont par contre étudiés, dont celui de la jeunesse de la population et des modes de vie différents des pays du Nord. Le docteur Massamba Diop, fondateur de SOS médecins Sénégal et spécialiste de l'épidémie de Covid-19, fait plusieurs constats. "
Les confinements freinent la progression de l'épidémie s'ils sont effectués très tôt. Dès qu'un premier patient contaminé se déplace, s'il n'est pas isolé, alors le virus se reproduit très vite. Nous avons débuté avec un taux de reproduction R0 à 8 au Sénégal, ce qui est énorme, mais très vite ce taux est tombé très bas", explique le spécialiste.
Pour autant, la majorité des pays d'Afrique n'ont pas confiné leurs populations comme en Europe : les difficultés socio-économiques que cela aurait entraîné étaient bien plus grandes que celles causées par la contagion au Covid-19. Massamba Diop explique donc la très faible mortalité africaine par plusieurs facteurs. "
En réalité si l'on prend des mesures de gestes barrières et de port du masque très tôt, il peut y avoir un facteur de transmission qui passe de 7 à 1. Les pays d'Afrique ont réagi très tôt et ont donc abaissé le facteur de transmission, mais il faut aussi savoir que 90% des morts ont plus de 65 ans chez nous et qu'en Afrique, les plus de 65 ans c'est seulement 3% de la population, contre plus de 20% en Europe", souligne le médecin.
Une forme d'immunité en Afrique ?
Pourquoi la population africaine ne tombe que très peu malade lorsqu'elle est infectée par le Covid-19 et n'en meurt que quand elle est âgée ? Le docteur Massamba Diop avance plusieurs hypothèses. La première est potentiellement liée à l'environnement : "
La majorité des personnes testées Covid positif ont un taux de vitamine D bien plus bas que la moyenne", explique le médecin. La vitamine D est notamment apportée par l'exposition au soleil, ce qui est plus le cas en Afrique qu'en Europe. Mais cette explication n'est pas suffisante, tout comme celle des modes de vie. Le fondateur de SOS médecin Sénégal insiste sur ce point : "
La densité de population dans les villes africaines est très importante et devrait au contraire accentuer la propagation du virus, cela n'a pas été le cas. L'exposition au soleil pour la vitamine D peut expliquer une partie de la faible contamination, mais au Brésil cela ne s'est pas vérifié"
D'autres possibilités sont donc étudiées, dont celle d'une possible immunité locale. "
Ce n'est pas l'origine africaine, génétique, qui jouerait, comme certains ont tenté de le démontrer, puisque les Afro-américains ou Afro-européens meurent bien plus que les Afro-africains ou même que les Européens. Il pourrait s'agir d'une immunité locale et croisée, propre à la vie sur le continent et pré-existante, avec l'exposition des populations à d'anciens coronavirus ou des bactéries, on ne le sait pas encore, mais c'est une possibilité", analyse le docteur Massamba Diop. Ce qui reste certain pour le spécialiste, c'est qu'une forme d'immunité collective semble s'être développée avec la circulation du virus qui a malgré tout eu lieu, particulièrement depuis cet été, sans affecter gravement les porteurs ou les tuer. Le médecin estime que "
40 à 50% de la population sénégalaise est contaminée aujourd'hui. Plus grand monde ne porte de masques et le taux de reproduction du virus est descendu à 0,2, ce qui est très faible, en sachant qu'aujourd'hui nous avons seulement 23 personnes hospitalisées pour tout le Sénégal."
L'Afrique ne doit pour autant pas relâcher sa vigilance, "
au moins pour un an avec le Covid-19", selon le docteur Massamba Diop, qui conclut : "
Nous avons certainement bénéficié d'une conjugaison de facteurs favorables, entre les mesures de gestes barrières prises très tôt, puis la circulation du virus, qui a certainement créé une forme d'immunité collective avec très peu de morts et peu de contaminés grâce à la jeunesse de la population, ce qui nous a permis d'avoir 100 fois moins de morts qu'en Europe. Si nous avons bénéficié d'une protection immunitaire propre au continent, il faut malgré tout que nous restions vigilants, surtout si un autre virus mutant et meurtrier dont nous ne serions pas protégés arrivait, comme le MERS-COV, qui tue plus d'un tiers des personnes touchées."
Pour mieux comprendre l'épidémie de Covid-19 en Afrique, visionnez notre reportage "Covid-19 : chroniques d'une pandémie en Afrique" (53 minutes) :