Un couple de retraités du sud de la France a saisi la justice pour faire annuler sa vente à un brocanteur, pour 150 euros, d'un masque fang du Gabon revendu pour plus de quatre millions d'euros. Une association de Gabonais en France a également porté plainte pour que ce masque, pris par un gouverneur colonial, soit restitué au Gabon et au peuple Fang. Une affaire qui illustre la question de la restitution aux pays africains de leur art.
Ils étaient quelques dizaines, membres du Collectif Gabon Occitanie, à l'entrée de l’hôtel des ventes de Montpellier le 26 mars 2022 pour protester contre la vente du masque fang. Solange Bizeau, membre du collectif, se trouvait elle dans la salle des enchères.
"Nous étions là pour faire du bruit et perturber la vente, interpeller les futurs acheteurs. Nos protestations ont eu quand même un effet. La maison de vente a écourté les enchères. Et des acheteurs prêts à enchérir se sont retirés prudemment de cette vente", explique Solange Bizeau, contacté par TV5MONDE.
"Les prix auraient pu monter plus haut sans notre intervention." Estimé à 300 000 euros, le masque a été adjugé à 4,2 millions d'euros. L'identité de l'acheteur n'est pas connue. Dans les colonnes de Midi-Libre selon Yves-Bernard Debie l'avocat de l'acheteur il s 'agit d'un " grand collectionneur international, qui ne réside pas en France".
Solange Bizeau, Collectif Gabon Occitanie.
Ce masque n'est pas une objet anodin. Son esthétique a influencé des artistes comme Picasso ou Modigliani. Il n'en resterait qu'une dizaine dans le monde. Haut de 55 centimètres, en bois, le maque a une très belle patine kaoline.
"Ce masque n'a pas une simple valeur muséale. Ce masque a une âme. Ce masque est le masque de la justice. Par des rituels Il désignait les coupables et les innocents dans le village. Ce masque appartient au peuple fang au Gabon et il doit revenir au Gabon", indique Solange Bizeau. Mais comment s'est-il retrouvé dans une salle de vente en Occitanie ?
Le catalogue de la maison de vente précise que ce masque avait été "collecté vers 1917 dans des circonstances inconnues, par le gouverneur colonial français René Victor Edward Maurice Fournier (1873-1937) probablement lors d'une tournée au Gabon".
Il reste ensuite aux mains des descendants du gouverneur colonial pendant plus de 100 ans. Un couple de retraités d'Eure et Loire, mais qui possède une maison dans le sud de la France, décide de s'en débarasser et le vend à un brocanteur pour la somme de 150 euros en 2021.
Le brocanteur revendra le masque un an plus tard pour 4,2 millions d'euros. Le couple de retraités décide alors de porter plainte contre lui.
Solange BIzeau, présidente du Collectif Gabon Occitanie.
Le Collectif Gabon Occitanie se saisit de l'affaire et porte plainte. L'association de la diaspora de cette région du sud de la France réclame le retour du masque au Gabon. Selon Solange Bizeau les circonstances de l'acquisition du masque par le gouverneur colonial de l'époque ne sont pas inconnues.
"Ce masque n'avait pas pour les Fang une valeur marchande. Les Fang ne vendaient pas un masque qui donnait la justice. Et on ne voit pas un gouverneur colonial achetait un masque en Afrique. Il s'agit d'un vol", estime Solange BIzeau. Une plainte a donc été déposée par le Collectif auprès du parquet de Montpellier.
"Nous avons prévenu les autorités gabonaises lors de la vente lorsque nous avons appris la mise en vente du masque une semaine avant les enchères", explique Solange Bizeau. "L'ambassadeur du Gabon n'était pas au courant. Le ministère de la culture gabonais nous a dit qu'il ferait tout pour ramener le masque au Gabon", explique Solange Bizeau.
Entre-temps, le régime d'Ali Bongo tombe.
Le Collectif Gabon Occitanie contacte le 3 octobre les autorités de transition. "Tout comme l'ancien pouvoir elles réclament le retour du masque au Gabon", explique Solange Bizeau.
Le prochain rendez-vous judiciaire aura lieu au tribunal d'Alès dans le sud de la France le 31 d'octobre. Celui-ci doit statuer sur la plainte du couple de retraités contre le brocanteur.
"Il faut faire preuve d'un peu de bonne foi et d'honnêteté. Mes clients n'auraient jamais cédé ce masque à ce prix s'ils avaient su qu'il s'agissait d'une pièce rarissime", a expliqué l'avocat du couple de retraité, Frédéric Mansat Jaffré à l'AFP.
L'acheteur et son conseil ne se sont pas exprimés publiquement.
Solange Bizeau, présidente du Collectif Gabon Occitanie sera présente avec d'autres membres de la diaspora gabonaise pour interpeler le tribunal. "Nous allons tous nous retrouver à Alès. Nous refusons d'abandonner. Le masque reviendra au Gabon."