Après l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda en août 2022, Antony Blinken est attendu en Éthiopie et au Niger à partir du 15 mars 2023. À Addis Abeba, il s’efforcera d’aider à consolider le fragile accord de paix entre les autorités et les rebelles tigréens, mais aussi à jauger de la revitalisation des relations entre le États-Unis et l’Éthiopie. Par ailleurs, c’est la première fois qu’un secrétaire d’État américain se rend à Niamey. Antony Blinken participera à des discussions sur la coopération sécuritaire dans la région du Sahel.
Cette visite intervient trois mois après la tenue d’un sommet entre les États-Unis et les dirigeants du continent africain. De quelle manière les États-Unis se positionnent désormais en Afrique ? Christopher Fomunyoh est politologue et directeur régional pour l’Afrique du think tank américain National Democratic Institute. Selon lui, la visite de Blinken s’inscrit dans la continuité du sommet de décembre 2022.
TV5MONDE : Qu’est-ce que la multiplication des visites de Blinken en Afrique montre de la stratégie des États-Unis sur le continent ?
Christopher Fomunyoh : Cela montre que le dernier sommet États-Unis - Afrique est en train de porter ses fruits. Ça a été un point de rappel à tout le monde sur le fait que l’Afrique compte et que l’administration Biden souhaitait démontrer son intérêt pour le continent africain.
Pour la Corne de l’Afrique, Blinken devrait avoir deux priorités. Il y a d’abord le règlement des conflits, puis la question de l’insécurité alimentaire. En ce moment, il y a toutes sortes d’inquiétudes par rapport à la région. Dans l’administration Blinken, il y a un envoyé spécial qui s’occupe de ces questions-là (NDLR : le diplomate Mike Hammer occupe ce poste depuis le 1er juin 2022, en succédant à David Satterfield. Il était auparavant ambassadeur des États-Unis en RDC). La Corne de l’Afrique a déjà reçu pas mal de bateaux avec des céréales ukrainiennes.
Par rapport au Niger, il sera principalement question du Sahel. Le Niger reste le dernier pays qui soit encore debout. La coopération bilatérale par rapport aux derniers financements, promis pour le Niger lors du sommet États-Unis - Afrique sera aussi sûrement évoquée. En sortant de Washington, le Niger a été l’un des pays les plus bénéficiaires de ce sommet. Ça ne me surprend pas que Blinken envisage d’effectuer un déplacement sur Niamey.
TV5MONDE : C’est la première fois qu’un secrétaire d’État américain se rend au Niger. Qu’est-ce que cela signifie ?
Christopher Fomunyoh : La dernière fois qu’un respnsable officiel de grande importance s’est arrêté à Niamey, c’est l’ancien vice-président Walter Mondale dans les années 1980 (NDLR : il fut vice-président des États-Unis de 1977 à 1981, sous la présidence de Jimmy Carter).
Les États-Unis considèrent le Niger comme un allié important dans cette lutte contre la violence au Sahel.Christopher Fomunyoh, politologue
Je pense que la visite de Blinken montre à quel point le Sahel prend de l’importance, mais aussi à quel point les États-Unis considèrent le Niger comme un allié important dans cette lutte contre la violence au Sahel. Les efforts du Niger méritent d’être soulignés. Le Niger est entouré de pays en crise depuis des années. Jusque-là, il a réussi à empêcher les actions terroristes à l’intérieur de son territoire. En dépit de toutes les difficultés, le Niger reste très attaché à la démocratie et à la gouvernance civile. Il fait des efforts dans ce sens.
TV5MONDE : Les États-Unis tentent-ils de tirer profit du rejet de la France sur le continent pour élargir leur influence ?
Christopher Fomunyoh : Je ne crois pas que ce soit un objectif recherché. Ce serait une erreur d’essayer de faire un jeu de ping-pong et de faire tirailler les États africains entre deux pays qui sont alliés et de les faire choisir. Selon moi, cela n’a pas de sens.
TV5MONDE : Les États-Unis ont-ils une stratégie pour lutter contre l’expansion de Wagner sur le continent ?
Christopher Fomunyoh : En tant que responsable d’une structure non-gouvernementale, je n’ai pas accès à la base de données de la politique officielle américaine. Toujours est-il que l’intervention de mercenaires dans les conflits sur le continent a toujours fait l’objet de critiques de la part de Washington, mais aussi de la part de structures comme l’Union Africaine ou la Cédéao.
La condamnation de la présence de Wagner n’est pas une nouveauté. Elle est tout à fait logique, car on voit l’effet néfaste des acteurs non-étatiques, qu’ils soient de la part des extrémistes armés ou de la part de ceux qui soutiennent les gouvernements en place.
TV5MONDE : Qu’est-ce que le sommet États-Unis - Afrique a changé dans la politique américaine sur le continent africain ?
Christopher Fomunyoh : On va prendre le cas spécifique du Niger. Il s’est avéré que pendant ce sommet, le président Mohamed Bazoum a été très bien reçu à Washington. Sur le plan protocolaire, il était bien accepté. C’était d’ailleurs le seul chef d’État civil du Sahel à proprement parler qui était présent.
Si le secrétaire d’État Antony Blinken se rend à Niamey, cela représente à mon avis la suite logique de la façon dont le Niger a été accueilli pendant ce sommet. Christopher Fomunyoh, politologue
Il est parti de Washington avec des accords spécifiques. Il a obtenu des subventions importantes pour aider le Niger à développer ses infrastructures routières et même le secteur du transport, afin de faciliter l’exportation du pétrole du Niger en passant par le Bénin. Si le secrétaire d’État Antony Blinken se rend à Niamey, cela représente à mon avis la suite logique de la façon dont le Niger a été accueilli pendant ce sommet.
TV5MONDE : La guerre en Ukraine a-t-elle eu une influence dans la manière dont les États-Unis gèrent leur stratégie avec l’Afrique ?
Christopher Fomunyoh : Je ne vois pas de corrélation directe entre ces deux éléments. Toujours est-il qu'avec la hausse des prix des denrées alimentaires, ajoutons à cela que certains pays comme l’Éthiopie ou le Soudan ont connu des conflits, par conséquent, les stocks agricoles de ces pays ont diminué. Cela a eu un impact sur le secteur agricole de manière significative. En plus, la sécheresse et l’impact des changements climatiques se font ressentir dans toute la Corne de l’Afrique. L’évidence de la menace de la famine est une réalité.
Aujourd’hui, on parle de 33 pays africains qui sont à risque. Une majeure partie se trouve dans la Corne de l’Afrique (NDLR : selon les dernières données du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, 21 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire élevée dans la région). Dans la nouvelle initiative mise en place par l’Ukraine pour faciliter la livraison de céréales aux pays africains (NDLR : le Programme alimentaire mondial des Nations Unies), la corne de l’Afrique a déjà reçu à elle seule cinq bateaux, pour un total de 120 000 tonnes de blé.
L'Éthiopie est un pays incontournable dans la région qu’on ne peut pas ignorer.Christopher Fomunyoh, politologue
TV5MONDE : Quels bénéfices peuvent tirer les États-Unis d’une revitalisation de la relation avec l’Éthiopie ?
Christopher Fomunyoh : L’Éthiopie est une grande puissance dans la Corne de l’Afrique. C’est un pays incontournable dans la région et qu’on ne peut pas ignorer. Il est vrai que pendant la période de la guerre, puisque Washington insistait sur une solution de négociation, certains acteurs politiques éthiopiens n’avaient pas apprécié cette prise de position en faveur d’une solution négociée, car ils souhaitaient une solution militaire.
Aujourd’hui, les parties belligérantes sont revenues sur la table des négociations. Cela s’est fait sous l’égide de l’Union africaine. Ces négociations semblent tenir à l’heure actuelle. Les États-Unis ont désigné un envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique, l’ancien ambassadeur Mike Hammer.
Je ne crois pas que les relations entre les États-Unis et l’Éthiopie se soient dégradées jusqu’au au point de non-retour. Au contraire, je me dis que maintenant que la guerre a cessé et que le pays est en train de se reconstruire, il revoit ses relations. Dans ce contexte, la présence américaine ne sera pas vue d’un mauvais œil.