Le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a été reçu lundi 26 février à Rabat par son homologue marocain Nasser Bourita. Ils ont exprimé leur volonté de réchauffer les relations diplomatiques entre les deux pays après une periode difficile entre Rabat et Paris. Analyse.
« Si la France et le Maroc se rapprochent, c’est parce qu’ils n’ont pas le choix », lance Luis Martinez. Le spécialiste du Maghreb et directeur de recherche au CERI de Sciences Po explique que les deux pays ont besoin l’un de l’autre pour ne pas se retrouver isolés dans la région.
La France traverse une crise diplomatique dans l’ensemble du continent africain, avec, entre autres, son rejet dans les pays du Sahel, sa mauvaise réputation en Tunisie et son échec dans le conflit libyen. “Si ça continue, nous serons en entente qu’avec le Tchad”, alerte le directeur de cherche au CERI de Sciences Po.
Quant à lui, le Maroc ne peut plus compter sur les accords d'Abraham en raison de la guerre en Proche-Orient. A l'initiative de l'administration Trump, quatre pays dont le Maroc ont reconnu l'État d'Israël. En échange de cette reconnaissance diplomatique, Rabat a bénéficié de l'expertise en terme cyber-sécurité et de sécurité d'entreprises israéliennes. La guerre à Gaza a changé la donne. L'opinion publique marocaine reste solidaire des Palestiniens. “Si ces accords avaient marché, le Maroc n'aurait pas eu besoin de venir vers nous”, ajoute Luis Martinez.
L'une des raisons de cette détente est l'Algérie. Le pays continue son rapprochement avec la Russie, la Chine, les Brics et depuis peu l’Italie. Ces deux dernières années, la France a tenté de renforcer en vain ses liens avec Alger. “L’Algérie veut des investissements, mais ne souhaite pas faire cadeau de ses marchés à la France”, poursuit le chercheur.
Les tentatives de rapprochement continuent. La secrétaire générale du Quai d'Orsay, Anne-Marie Descôtes, doit ainsi rencontrer mardi 28 février son homologue et le ministre des Affaires étrangères dans la capitale algérienne. Le Maroc n'a plus de relations diplomatiques depuis le 24 août 2021 avec l’Algérie. Les deux pays s'écharpent sur la question du Sahara occidental et la reconnaissance de l'Etat d'Israël.
“C’est un retour à normal. La France a toujours eu de bonnes relations avec le Maroc, il y a une obligation de bonne entente entre ces deux partenaires, ils sont très liés”, explique Pierre Vermeren, historien spécialiste du Maghreb et professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. “Beaucoup d’élites de la société marocaine font pression pour faciliter la coopération. La dispute entraîne beaucoup trop d’inconvénients. C’est une querelle entre dirigeants, pas entre les peuples”.
Le Maroc est notamment une terre économique importante pour les entreprises françaises. Plus d'un millier de PME et la quasi-totalité du CAC 40 ont une activité sur place. Les liens sont aussi importants par l’histoire et la présence en métropole française d’une importante diaspora marocaine, avec plus 836 000 personnes, selon les données de l'Insee de 2022.
En visite lundi 26 février à Rabat, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a souligné que le Maroc est sa première visite officielle au Maghreb depuis sa prise de fonction le mois dernier. Lors d’une conférence de presse, le ministre a déclaré qu’il y a “entre la France et le Maroc un lien exceptionnel et [Emmanuel Macron] veut que ce lien reste unique et qu’il s’approfondisse encore dans les prochains mois”.
Son homologue marocain Nasser Bourita a quant à lui estimé que la relation bilatérale n’avait “pas d’égal”. "Les deux pays ont quand même pris leurs gardes en faisant rencontrer leurs deux ministres et non directement le président français avec le roi marocain", note Luis Martinez
Les deux pays sont en froid diplomatique depuis plusieurs années. En septembre 2021, Rabat avait décrié la décision française de réduire de moitié les visas octroyés aux Marocains. De plus, la politique de rapprochement avec l’Algérie menée par la France agaçait le Maroc, alors qu’Alger a rompu en 2021 ses relations diplomatiques avec Rabat. Une autre polémique avait eu lieu en septembre quand Rabat avait ignoré l’aide proposée par la France à la suite d'un important tremblement terre ayant causé la mort d'au moins 3 000 personnes.
De l’autre côté, le consortium de médias Forbidden Stories avait révélé que les téléphones du président français Emmanuel Macron et de certains de ses ministres avaient été ciblés en 2019 par le Maroc avec le logiciel d’espionnage israélien Pegasus, même si le pays dément.
Les deux pays cherchent à apaiser leurs relations depuis novembre 2023, date à laquelle l’ambassadeur français au Maroc a fait son mea-culpa concernant le refus de Rabat del'aide humanitaire française . Une ambassadrice du Maroc en France avait également été nommée, mettant fin à deux mois de vacances à ce poste.
Preuve de la volonté de poursuivre ce rapprochement, Stéphane Séjourné a réitéré le soutien de Paris au plan d’autonomie marocain au Sahel occidental. "C'est un enjeu existentiel pour le Maroc. Nous le savons", a insisté le ministre. "Nous l'avons dit et je le redis aujourd'hui peut-être avec plus de force : il est désormais temps d'avancer. J'y veillerai personnellement".
Le ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, à gauche, serre la main de son homologue marocain Nasser Bourita, lors d'une visite officielle à Rabat, au Maroc, lundi 26 février 2024.
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est contrôlé de facto par la Maroc. Mais la région est revendiquée par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. L'ONU considère qu'il s'agit d'un "territoire non-autonome".
Le spécialiste Pierre Vermeren explique qu’il n’y a rien d’étonnant dans ce choix : “La France n’a pas changé de politique au Sahara depuis 2007 qui est le plan de large autonomie. Elle a été avalisée par instances internationales et c’était le minimum que le Maroc voulait”.
Pour poursuivre le rapprochement, Stéphane Séjourné a invité des ministres marocains à Paris. Il a également annoncé la visite au Maroc dans les prochaines semaines des ministres français de l’Économie, Bruno le Maire, et de la Culture, Rachida Dati.
Lundi 19 février, les trois princesses marocaines, sœurs du roi du Maroc Mohammed VI, avaient été reçus par l’épouse du président français, Brigitte Macron, pour déjeuner. Cette rencontre s’inscrit “dans la continuité des relations d’amitié historique entre la France et le Royaume du Maroc”, a déclaré sur Instagram l’Élysée.