Le 8 août 1992, aux JO de Barcelone, Hassiba Boulmerka offre à l'Algérie la première médaille olympique de son histoire, en remportant le 1500 mètres. Une victoire face aux islamistes. Témoignage de Latifa Madani, journaliste à l'Humanité et ancienne journaliste en Algérie.
TV5MONDE : Comment avez-vous vécu la victoire de Hassiba Boulmerka en finale du 1500 mètres de Barcelone 1992 ?
C'était le 8 août 1992, pendant les vacances. J'étais au bord de la mer avec une bande d'amis à Ziama Mansouria, un endroit paradisiaque sur la corniche jijlienne. Et on était rivé devant l'écran, bien évidemment. Toute l'Algérie était rivée devant l'écran parce que Hassiba Boulmerka était championne. Elle avait été championne du monde à Tokyo en 1991. E
Elle avait été championne d'Afrique. Et tout d'un coup on voit cette femme, ce bout de femme avec son short et son débardeur, déployer le drapeau algérien. Il y avait des drapeaux algériens déjà qu'on voyait dans les gradins du stade de Barcelone. À moins de 200 mètres de l'arrivée, elle a déboulé et remporté la victoire.
Pour nous, elle nous a vraiment remonté les batteries parce qu'on vivait une période extrêmement difficile, extrêmement sombre.
Voir : la victoire de Boulmerka à Barcelone
TV5MONDE : Racontez-nous cette période, celle de l'émergence politique des islamistes dans le pays.
Il y a eu les émeutes d'octobre 1988. Il ne faut pas l'oublier. Elles ont été très importantes. Celles-ci étaient au début des émeutes de la faim. Elles se sont transformées en émeutes pour la démocratie. Elles ont touché plusieurs villes dont Alger. Elles ont été durement réprimées. L'armée a imposé l'état de siège. Je m'en rappellerai toute ma vie. Entendre me bruit des chars qui entrent dans la ville reste dans votre mémoire. C'est à ce moment-là que les islamistes ont commencé à protester, à soutenir à leur façon le mouvement des émeutes. Et là, il y a eu ces élections législatives de décembre 1991. Et là, le Front islamique du Salut emporte une victoire sans appel. Et c'est là qu'après, il y a eu une remise en cause de cette victoire. Le président Chadli Bendjedid démissionne le 11 janvier. On assiste à la mise en place d'un Haut Conseil d’État.
Ces personnalités de l'armée et du FLN vont chercher un certain Mohamed Boudiaf pour devenir président. Il avait été un des héros de la guerre d’indépendance. Il était en exil au Maroc.
On a commencé à reprendre espoir. Ce nouveau président a commencé à tenir un discours très simple. Il était devenu très populaire. Il entendait lutter contre la corruption, développer l'école. Le 29 juin 1992, il était à Annaba pour un discours en direct à la télévision et il a été assassiné en direct devant les caméras de la télévision. C'était un traumatisme terrible et à partir de là un grand moment d'instabilité pour l'Algérie. Les islamistes ont fait de grandes manifestations. Les attentats ont commencé à toucher les populations civiles et les villages. Ce fut le début de la décennie noire.
Hassiba Boulmerka leur a fait un sacré bras d'honneur aux islamistes.Latifa Madani, journaliste algérienne
TV5MONDE : dans ce contexte, quelques semaines après l'assassinat du président Boudiaf, Hassiba Boulmerka remporte le 1500 mètres aux Jeux.
On ne peut pas oublier cette victoire. Hassiba Boulmerka représentait la résistance par rapport aux islamistes. Ces derniers ne voulaient pas que les femmes soient en short et en débardeur. Sa victoire, c'est l'Algérie qui gagne. Elle a raison Hassiba. Elle leur a fait un sacré bras d'honneur aux islamistes. Aujourd'hui Hassiba continue de se battre. Elle est dans les comités. Elle se bat pour que les jeunes femmes puissent avoir accès au sport.