Bamako a été le théâtre samedi 11 juillet d'une deuxième journée et d'une nuit de violences entre Bamakois et forces de sécurité tirant à balles réelles selon de nombreux témoignages.
Quatre civils, dont deux mineurs de 15 et 17 ont trouvé la mort, a indiqué à l'AFP un responsable des urgences d'un grand hôpital sous le couvert de l'anonymat en raison de la sensibilité de la situation.
Les affrontements ont été particulièrement durs autour de la mosquée où prêche celui qui est considéré comme la tête pensante de cette contestation, l'imam Mahmoud Dicko. L'entourage de cette personnalité très écoutée et bête noire du pouvoir a diffusé des vidéos difficiles qui s'apparentent à des images de guerre.
Elles montrent au moins deux hommes visiblement morts baignant dans leur sang et d'autres perforés par des projectiles, ainsi qu'une grande confusion d'hommes s'agitant dans ce qui est selon l'entourage de M. Dicko les bureaux de l'imam. Des coups de feu claquent à distance par saccades régulières, sans que les tireurs puissent être identifiés.
"Vous êtes en train de tuer les Maliens, dans la mosquée, (à) balles réelles. La mosquée est en feu", s'écrie un homme dans l'une de ces vidéos qui n'ont pas pu être identifiées indépendamment par l'AFP.
Dans un climat propice à toutes les rumeurs, les fidèles de l'imam redoutaient apparemment qu'il ne soit arrêté à son tour, comme l'ont été depuis vendredi plusieurs leaders de la contestation, et ont affronté les forces de sécurité.
Des affrontements ont aussi été rapportés près de la maison de la présidente de la Cour constitutionnelle, Manassa Danioko, l'un des personnages publics qui focalisent la colère. Des images circulant sur les réseaux sociaux montrent au moins un homme apparemment mort.
Dans d'autres quartiers, des hommes ont dressé des barrages, incendié des pneus et se sont livrés au saccage.
La capitale, préservée en temps normal par les violences jihadistes et intercommunautaires qui endeuillent le nord et le centre du pays, est la proie depuis vendredi de ses troubles civils les plus graves depuis des années. Au moins trois personnnes ont été tuées vendredi, et des dizaines d'autres blessées.
Ces violences découlent de tensions sans cesse croissantes depuis les législatives de mars-avril. Une coalition hétéroclite de leaders religieux, de personnalités du monde politique et de la société civile s'est agglomérée autour de l'imam Dicko pour porter la protestation.
Ce mouvement dit du 5-Juin canalise une multitude de mécontentements dans ce pays d'Afrique de l'Ouest : contre la dégradation sécuritaire et l'incapacité à y faire face après des années de violence, le marasme économique, la défaillance des services de l'Etat, ou encore le discrédit répandu d'institutions suspectes de corruption.
Vendredi 10 juillet, le mouvement est entré selon ses mots en "désobéissance civile", frustré par les réponses successives du président à des exigences fortes: dissolution du Parlement, démission des juges de la Cour constitutionnelle, formation d'un gouvernement dont il nommerait le Premier ministre et, au bout du compte, départ du président.
Le mouvement dit être pacifique et accuse le pouvoir des violences.
Plusieurs de ses leaders ont été arrêtés depuis vendredi. Les autres semblent se cacher. Le contrôle que le mouvement exerce encore sur la contestation n'est pas clair.
La décision de la Cour constitutionnelle d'invalider une trentaine de résultats des législatives passe pour un élément déclencheur de la contestation.
Samedi soir, dans sa quatrième allocution en un mois, le chef de l'Etat a annoncé la dissolution de la Cour constitutionnelle et le remplacement prochain de ses neuf juges.
Il a aussi ouvert la voie à des législatives partielles là où la Cour constitutionnelle a invalidé les résultats, suivant en cela les recommandations d'une mission de bons offices des Etats ouest-africains.
L'escalade en cours alarme en effet les alliés du Mali, inquiets d'un élément déstabilisateur de plus dans un pays confronté au jihadisme et à une série de défis majeurs, dans une région elle-même tourmentée.
M. Keïta, 75 ans, président depuis 2013 et réélu en 2018, a réitéré son offre de dialogue et assuré que le prochain gouvernement, en cours de constitution, serait "consensuel, composé de cadres républicains et patriotes et non de casseurs et de démolisseurs du pays".
Cependant, aucune de ses ouvertures jusqu'alors n'a fait retomber la fièvre, au contraire.