Marathon de Rome 1960 : Abebe Bikila et la revanche de l'Afrique

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Marathon de Rome 1960 : Abebe Bikila et la revanche de l'Afrique (1)
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Mis à jour le
18 juillet 2024 à 17:15
par Pierre Desorgues

Abebe Bikila, fils de berger éthiopien, ancien membre de la garde impériale, est le premier athlète d'Afrique noire médaillé d'or olympique, en 1960. Son arrivée à l'Arc de Constantin, à Rome, constitue tout un symbole, 25 ans après l'invasion partielle de l'Ethiopie par l'Italie fasciste de Mussolini. Comme une revanche des pays colonisés. Entretien avec Fabien Archambault, historien, spécialiste de l'Italie contemporaine et de l'histoire du sport. 

TV5MONDE : D'où vient Abebe Bikila ? 

 Fabien Archambault : Il est né à 130 km dans un village au nord de la capitale, Addis-Abeba, dans une famille d'éleveurs plutôt aisée en 1932. Tout petit, il a connu l'invasion et la colonisation italienne de l'Ethiopie en 1935-1936. C'est une colonisation qui a été particulièrement violente. 

Les troupes italiennes du régime fasciste mettent en place des camps de concentration comme en Libye en 1911-1912. Ils mettent en place des regroupements de populations. Et la famille de Abebe Bikila sera une famille déplacée par le conflit. Elle a dû fuir l'invasion italienne. 

Voir : Abebe Bikila, le premier Africain noir champion olympique

TV5MONDE : comment devient-il un athlète olympique spécialiste du marathon  ? 

 Fabien Archambault : Il intègre l'armée et la garde impériale de l'empereur Hailé Sélassié. L'empereur veut faire émerger l'Ethiopie sur la scène mondiale et cela passe notamment par le sport. Le pouvoir éthiopien investit dans des infrastructures d'entraînement, dans des stades. 

Le parcours du marathon de Rome passe devant des monuments qui sont très significatifs pour l'opinion publique éthiopienne. 

 Fabien Archambault

Les athlètes éthiopiens, tout comme le Kenya, se spécialisent dans la course de fond, le 10 000 mètres et le marathon. Il faut ramener une médaille des Jeux de Rome, capitale de l'ancien pays colonisateur. 

On fait venir des entraîneurs scandinaves pour préparer les coureurs. Abebe Bikila profite d'une blessure de l'un des coureurs éthiopiens pour intégrer l'équipe éthiopienne pour les jeux de Rome de 1960. 

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TV5MONDE : comment la délégation éthiopienne prépare l'épreuve du marathon ? 

 Fabien Archambault : Le parcours du marathon de Rome passe devant des monuments qui sont très significatifs pour l'opinion publique éthiopienne. L'arrivée du marathon se déroulera sous l'Arc de Constantin, là où sont parties en 1935 les troupes fascistes vers l'Ethiopie. Et à 500 mètres de l'Arc de Constantin se trouve l'obélisque d'Axoum dérobé par les colonisateurs italiens en 1935 dans la province du Tigré. Cet obélisque a été ensuite placé à Rome devant le ministère de l'Afrique italienne, devenu aujourd'hui le siège de la FAO. 

 Ils se sont rendus compte que l'adhérence des pieds reste meilleur lorsque on court pied nus. 

Fabien Archambault

Onni Niskanen, l'entraîneur suédois et toute la délégation éthiopienne sont arrivés un mois avant les Jeux et la course. Ils ont fait des essais sur les pavés romains et antiques de la Via Appia Antica. Ils se sont rendus compte que l'adhérence des pieds reste meilleur lorsque on court pied nus. 

On va plus vite pieds nus qu'en chaussures. Courir pieds nus a été interprété comme le choix d'athlètes venant d'un pays pauvre mais en fait il s'agit bien d'une tactique, d'une expertise de la course. Abebe Bikila court un peu plus vite que ses poursuivants qui s'épuisent pendant 5 à 6 kilomètres à rester à son contact. Et quand on sort de la Via Appia Antica il place son accélération décisive et il remporte le marathon. 

C'est  une victoire qui est très importante dans toute l'Afrique noire. 

 Fabien Archambault

Bikila en 1960

Abebe Bikila, vainqueur du marathon le 10 septembre 1960 sous l'Arc de Constantin.
 

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TV5MONDE : Comment est perçue la victoire d'Abebe Bikila en Ethiopie ? 

 Fabien Archambault : C'est une immense fierté d'avoir remporté cette victoire. On le voit au retour de la délégation éthiopienne où il y a une centaine de milliers de personnes à l'aéroport de la capitale éthiopienne. C'est également une victoire qui est très importante dans toute l'Afrique noire. 

Il y a un  prestige de l'Ethiopie qui est à ce moment là le seul pays indépendant de l'Afrique noir et c'est un pays qui a porté une exigence, celle de libérer le continent du joug colonial. La victoire de Abebe Bikila a eu un retentissement mondial. Cette victoire marque l'entrée dans le mouvement olympique mais plus largement sur la scène politique mondiale de tous les pays colonisés.