Pourquoi les déclarations du président Macron sur sa politique africaine ont choqué

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Christophe Simon, Pool via AP
Mis à jour le
16 janvier 2025 à 15:19
par TV5MONDE Somaya Aqad

Les propos du président français sur la politique étrangère de la France en Afrique, marquée par le départ des troupes françaises au Mali, au Sénégal en Côte d’Ivoire et au Tchad, continuent de faire réagir. Plusieurs dirigeants et gouvernements africains récusent les propos du président français. Décryptage avec Antoine Glaser, journaliste et spécialiste des relations franco-africaines. 

Lors de la 30e Conférence des ambassadeurs français, qui s’est tenue à Paris les lundi 6 et mardi 7 janvier 2025, le président Emmanuel Macron a déclaré que les troupes françaises n’ont pas été forcées de quitter de nombreux pays africains, que la France a permis à des pays africains de sauvegarder leur souveraineté et qu'elle n'a pas été remerciée pour autant. 

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Ces propos ont suscité de vives réactions notamment en Afrique. Des dirigeants et gouvernements africains ont récusé certaines affirmations de leur homologue français. C'est le cas du président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno qui a exprimé son "indignation vis-à-vis des propos récemment tenus par le président Macron qui frisent le mépris envers l'Afrique et les Africains. Je crois qu'il se trompe d'époque". Pour sa part, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a, lui, précisé que la décision de demander le départ des troupes étrangères sur le territoire sénégalais n'avait pas été concertée avec Paris. De son côté, le capitaine Ibrahim Traoré à la tête du régime militaire au Burkina Faso a répondu vertement au propos du président Macron : "Il a insulté tous les Africains".
 
Le journaliste et spécialiste des relations entre la France et l'Afrique Antoine Glaser, auteur de "Le piège africain de Macron. Du continent à l'Hexagone" co-écrit avec Pascal Airault, chez Fayard (2021), décrypte les déclarations du président français et démêle le vrai du faux. 
  • Le départ des troupes françaises de pays africains a-t-il été négocié avec Paris ?

Dans son discours, le président français Emmanuel Macron a voulu signifier que l'armée française n'a pas été chassée des pays africains d'où elle est partie. "On était là à la demande d'États souverains. À partir du moment où il y a eu des coups d'État où les gens ont dit 'notre priorité ce n'est plus la lutte contre le terrorisme, c'est ceci ou cela qu'importe' la France n'y avait plus sa place. Parce que nous ne sommes pas les supplétifs de putschistes. Donc on est parti et ensuite on a décidé de réorganiser notre présence militaire", assure Macron. Et le président français d'ajouter par la suite : "Nous avons proposé aux chefs d'État africains de réorganiser nos présences. Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l'annonce. Et parfois, il a fallu pousser".
 
Mais pour Antoine Glaser, la demande de départ des troupes françaises est bien évidemment une décision souveraine de la part des chefs d'État africains qui ont dénoncé des accords de défense les liant à la France. Le cas du Tchad est emblématique. "C'est un traumatisme pour la France parce que l’armée française était dans ce pays depuis 1900". La France est intervenue maintes fois au Tchad. Pour Macron, le désaveu tchadien est vexant, car il était venu en personne "adouber Mahamat Idriss Deby", le fils d'Idriss Deby mort dans des combats contre des rebelles après 30 ans au pouvoir. Quant à parler de "politesse" de la part de la France pour expliquer que l'annonce soit faite par les pays africains est loin de la réalité. "C'est peut-être vrai pour la Côte d'Ivoire, mais certainement pas dans le cas du Tchad et du Sénégal", souligne Antoine Glaser. 
 
  • La France a-t-elle sauvegardé la souveraineté de pays africains face au terrorisme ? 

"Je le dis pour tous les gouvernements africains qui n'ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publique de le porter, aucun d'entre eux ne seraient avec un pays souverain si l'armée française ne s'était pas déployée dans cette région", assène le chef de l'État français devant ses ambassadeurs.

Le président Emmanuel Macron estime que la France a fait barrage au terrorisme dans le Sahel. La France est intervenue au Mali dès 2013 avec l'opération Serval face à l'avancée des rebelles djihadistes qui avaient conquis le nord du pays. "Macron est persuadé que la France a empêché avec l'opération Barkhane la constitution d'un califat dans le Sahel, ce qui n'est pas du tout une réalité, et n'a jamais été prouvé, note Antoine Glaser. Aujourd'hui, personne ne croit que les djihadistes auraient pu prendre Bamako et créer un califat dans le Sahel", souligne Antoine Glaser. 
 
Selon lui, cette réaction du président français a tout l’air d’une vexation. En réalité, ces déclarations polémiques signent un échec de la politique africaine d’Emmanuel Macron. Il y a une volonté de tirer l’ardoise magique sur le pré carré français des anciennes colonies en Afrique francophone en allant dans les colonies anglophones comme le Nigéria ou encore le Kenya, qui accueillera le prochain sommet Afrique-France. 

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  • Qui doit remercier qui ? 

"Nous avions une relation sécuritaire. Elle était de deux natures en vérité : une partie était un engagement contre le terrorisme depuis 2013, on avait raison. Je crois qu'on a oublié de nous dire merci. Ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps. L'ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c'est une maladie non transmissible à l'homme, déclare le président Macron. 

Dans son discours, le président français a fustigé “l’ingratitude” des pays africains. Mais Antoine Glaser rappelle que les Africains ont libéré la France à deux reprises. "Pendant les deux guerres mondiales, c'est les tirailleurs sénégalais, c'est les Africains qui ont libéré la France" Les tirailleurs sénégalais, qui rassemblaient des troupes de l'Afrique francophone, ont payé de leurs vies. 

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La France a continué de se croire chez elle en Afrique en se substituant à ces pays et en perpétuant la Françafrique. "Au vu de la réaction de Macron, on voit que le président français a pris de façon très personnelle la remise en cause de la relation de la politique africaine de la France avec l'Afrique", observe Antoine Glaser. 
 
Ce ton très personnel et affectif a beaucoup surpris. Il revêt une forme d’arrogance de la part du président français, qui estime avoir fourni beaucoup d'efforts sur le plan mémoriel et historique de l’Afrique. La promesse d’une politique de renouveau d’Emmanuel Macron s’est en réalité poursuivi en politique paternaliste. Contrairement à ses partenaires, la France n’a pas vu l’Afrique se mondialiser.