Emploi, inflation, économie, sécurité dans l'est du pays.... Quel bilan peut-on tirer du quinquennat du président-candidat Félix Tshisekedi élu en 2019 ? Éléments de réponse.
À son arrivée au pouvoir en février 2019, le président Tshisekedi avait annoncé un peu moins d’une dizaine grandes priorités lors de sa prestation de serment.
Parmi celles-ci : la pacification du pays, la démocratisation, la stabilité de l’économie, la lutte contre la pauvreté, la refondation de l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, la promotion d’une presse libre ou encore la construction d’infrastructures.
Cinq ans plus tard, le président sortant est revenu sur ces priorités dans son discours sur l’état de la nation, en novembre dernier.
Rappelant les efforts de son gouvernement pour la réforme de l’armée, Félix Tshisekedi a ainsi précisé que la RDC s’est notamment dotée d’une politique de défense, et d’une loi de programmation militaire.
En 2022, les dépenses de l’armée ont connu une augmentation significative, atteignant près d’un milliard de dollars US.
« Le président Tshisekedi a effectivement initié une réforme et une restructuration de l’armée congolaise. Celle-ci a désormais beaucoup plus de moyens matériels et financiers. D’ailleurs, plusieurs milliers de jeunes recrues ont été formées ou sont en cours de formation », nous confie Ithiel Batumike, analyste à l'institut congolais de recherches Ebuteli.
Tout en dénonçant « les velléités expansionnistes » du Rwanda – qui les a toujours rejetées –, Félix Tshisekedi a également lancé un appel à la mobilisation générale en novembre 2022, lors d’une allocution télévisée.
Les autorités congolaises ont ainsi pu recruter près de dix mille jeunes qui ont été formés et déployés dans la province du Nord-Kivu.
Des jeunes appelés localement « Wazalendo » (signifie patriote en kiswahili, la langue véhiculaire de l’Est de la RDC) et qui constituent une sorte de milice progouvernementale.
Par ailleurs, le président Tshisekedi a lancé en juillet 2021 le Programme de désarmement, démobilisation, relèvement, communautaire et stabilisation (PDDRC-S), destiné à désarmer les membres des groupes rebelles, et à les réinsérer grâce à des activités génératrices de revenus.
Dans son discours sur l’état de la nation en novembre dernier, le chef de l’Etat congolais a cependant affirmé qu’il avait demandé à son gouvernement de mobiliser les fonds nécessaires au démarrage du PDDRC-S.
Mais il s’est surtout félicité de sa décision d’instaurer l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Et même si cette mesure exceptionnelle n’a toujours pas permis de rétablir la sécurité dans ces deux régions de l’est du pays, elle a permis, selon le président Félix Tshisekedi, de réduire la fraude douanière et minière.
Entré en vigueur le 7 mai 2021, l’état de siège avait comme ambition de pacifier l’est du pays, frontalier avec le Rwanda et l’Ouganda. Malheureusement, plus de deux ans après son instauration, la violence et l’insécurité règnent toujours dans la région.
Il y avait 121 groupes armés au moment où Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir en 2019. Aujourd’hui, les plus optimistes parlent du double, voire du quadruple !
Onesphore Sematumba, analyste pour la région des Grands Lacs de l’institut de recherche International Crisis Group.
Pis, les rebelles du M23 qui avaient été défaits en 2013, ont refait surface depuis novembre 2021, avec le soutien du Rwanda selon Kinshasa et un rapport d’experts onusiens. Le Rwanda nie être derrière le M23.
Riche en ressources naturelles, notamment en minerais (cobalt, coltan, cassitérite…), l’Est de la RDC connait des violences graves depuis près d’une trentaine d’années.
Dans un communiqué publié en octobre dernier, l’Organisation internationale pour les migrations (OMI), affirme que 6,9 millions de personnes sont actuellement déplacées à l’intérieur de la RDC, en raison notamment du regain de violences dans l’Est.
« Il y avait 121 groupes armés au moment où Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir en 2019. Aujourd’hui, les plus optimistes parlent du double, voire du quadruple ! », nous a confié depuis Goma Onesphore Sematumba, analyste pour la région des Grands Lacs de l’institut de recherche International Crisis Group.
Et il ajoute : « Depuis que la rébellion du M23 a ressurgit, elle n’arrête pas d’avancer et de conquérir des espaces ; au point où deux des six territoires du Nord-Kivu, le Masisi et le Rutshuru, soit plus d’un million de personnes, ne participeront pas aux prochaines élections. »
Selon Jean-Claude Mputu, professeur de sciences politiques à l’université de Mabandaka, en RDC, « l’état de siège est un échec, car une partie des territoires de l’Est du pays est aujourd’hui occupée par des rebelles qui les ont conquis alors même qu’ils étaient sous ce régime d’exception. »
Pour la première fois en effet, une rébellion contrôle et administre une zone du Nord-Kivu avant des échéances électorales majeures.
« Cet état de siège a été décidé sans aucune préparation. On a arraché le pouvoir aux institutions légalement établies pour le confier à l’armée. Avec les résultats que l’on voit aujourd’hui : plus de misère, plus de morts, plus de souffrance et pas de liberté. La preuve que c’est un échec est qu’on a fait venir les troupes de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est. », précise Jean-Claude Mputu.
Malgré tout, durant son quinquennat, le président Félix Tshisekedi a pris des initiatives pour tenter de résoudre les conflits dans plusieurs parties du pays, réformer la justice et promouvoir la décentralisation.
Il y a par exemple le lancement en novembre 2021 de l’opération « Shujaa », une opération conjointe entre les armées congolaise et ougandaise contre les éléments des ADF.
Carte de la RDC, avec trois des provinces de l'Est du pays que sont l'Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu.
Le groupe Forces démocratiques alliées (ADF), est une rébellion ougandaise basée dans le Nord-Kivu depuis les années 1990. Outre des attaques régulières contre les populations civiles, les ADF ont prêté allégeance aux djihadistes de l’Etat islamique.
En avril dernier, à Beni, dans le Nord-Kivu, les chefs d’état-major des deux armées se sont réjouis des résultats obtenus à l’occasion de la fin de l’évaluation de la quatrième phase de l’opération « Shujaa ».
Les armées ougandaise et congolaise ont en effet réussi à repousser les ADF loin des principales agglomérations, et donc de réduire de manière significative leur capacité de nuisance. Malheureusement, ces rebelles n’ont pas arrêté leurs attaques contre les civils.
« Actuellement, Goma est coupé de son arrière-pays. De Goma, on ne peut plus se rendre dans le Masisi ou le Rutshuru. Je ne parle pas de ce qui se passe en Ituri où les ADF sont toujours aussi virulents. », souligne Onesphore Sematumba.
Néanmoins, sous l’égide de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est, des discussions inter-congolaises ont notamment eu lieu en 2022, à Naïrobi, au Kenya, réunissant les autorités, la société civile et plusieurs groupes armés.
Après y avoir été convié dans un premier temps, le M23 a finalement été exclu de ces pourparlers à la demande des autorités congolaises qui le considèrent comme une organisation terroriste.
Ces initiatives diplomatiques ont toutefois permis le déploiement dans la province du Nord-Kivu, de la force régionale de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est. Avec un mandat d’un an qui expirait le 8 décembre dernier, cette force a finalement entamée son retrait le 3 décembre 2023.
Ces derniers mois, Kinshasa avait ouvertement critiqué cette force régionale à laquelle il reprochait de ne pas s’engager dans des combats aux côtés de ses forces armées. Conséquence : les dirigeants Est-africains ont annoncé qu’ils ne renouvelleraient pas le mandat de cette force lors d’une réunion en Tanzanie le 24 novembre dernier.
S’agissant de la justice, le président Félix Tshisekedi a lui-même déclaré en juillet dernier, au cours d’une session de questions-réponses avec les Congolais : « S’il y a un bémol à mettre sur mon bilan, je ne suis pas satisfait du bilan dans le domaine de la justice. »
Il est difficile aujourd’hui en RDC, de penser que l’on peut développer ce pays à partir de Kinshasa.
Ithiel Batumike, analyste à l'institut congolais de recherches Ebuteli.
Malgré le recrutement de 5 000 magistrats durant son quinquennat, le traitement de nombreux procès symboliques donne en effet l’impression d’une mainmise du politique sur la justice.
Quant à la décentralisation, elle reste très marquée par le jacobinisme de Kinshasa, et ce malgré l’organisation pour la première fois cette année d’élections locales.
« Il est difficile aujourd’hui en RDC, de penser que l’on peut développer ce pays à partir de Kinshasa. Comme sous le précédent régime, le gouvernement de Félix Tshisekedi n’a pas pu s’empêcher de restreindre l’autonomie des provinces. », souligne ainsi Ithiel Batumike, analyste à l'institut congolais de recherches Ebuteli.
Une bonne nouvelle cependant sur le plan économique pour le président-candidat Félix Tshisekedi : pour 2023, la Banque mondiale estime à 6,8% le taux de croissance de la RDC.
Début décembre, le ministre congolais des Finances, Nicolas Kazadi, a déclaré à la presse que les réserves en devises sont passées d’environ 1 milliard de dollars US à près de 5 milliards. Grâce au secteur minier, le budget devrait atteindre cette année 16 milliards de dollars, contre 5,7 cinq ans plus tôt, en 2019.
La RDC est en effet le premier producteur de cuivre en Afrique, et le plus grand producteur mondial de cobalt, un composant clé des batteries utilisées pour l’électronique ainsi que les véhicules électriques
Le directeur pays de la Banque mondiale, Albert Zeufack, a même déclaré récemment que le gouvernement avait fait « des progrès extraordinaires s’agissant de la mobilisation des ressources. » Un enthousiasme que ne partage pas Albert Malukisa, professeur d’économie à l’Université catholique du Congo.
« Ces chiffres officiels doivent être pris avec beaucoup de précautions. Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse budgétaire, car depuis plusieurs mois, l’Etat congolais ne sait plus payer ses fonctionnaires. », affirme ainsi Albert Malukisa.
Et il ajoute : « Cela veut dire que l’Etat a des difficultés à collecter les recettes publiques, et que celles qui le sont ne lui permettent pas de faire face à ses engagements. Si la situation était si bonne, on n’allait pas enregistrer une dépréciation continue du franc congolais par rapport au dollar américain. »
Alors qu’il y a cinq ans un dollar US valait en moyenne 1 700 francs congolais, il vaut aujourd’hui entre 2 600 et 2 700 francs ! Et depuis le début de l’année, le franc congolais s’est déprécié d’environ 15% par rapport au dollar.
Avec une population d’un peu moins de 100 millions d’habitants, l’économie congolaise est l’une des plus dollarisée au monde, un héritage de l’inflation galopante de l’époque de feu le dictateur Mobutu Sese Seko (1965-1997).
La dépréciation du franc congolais, le paiement des arriérés de salaires des fonctionnaires et l’augmentation des dépenses de guerre relevé en février dernier par le FMI, ont fait grimper les prix en RDC. Conséquence : les habitants ne parviennent pas à se procurer les produits de base.
Selon la Banque mondiale, la plupart des Congolais travaillent dans l'économie informelle et plus des deux tiers de l’ensemble de la population vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 2,15 dollars US par jour.
Le FMI estime de son côté qu’en octobre dernier, l’inflation a atteint 22% sur un an, rendant la vie encore plus difficile.
À son arrivée au pouvoir en 2019, le président Félix Tshisekedi promet de transformer la RDC en une puissance industrielle lors d’un voyage à Berlin, en Allemagne. Si le chef de l’Etat congolais peut se prévaloir d’une croissance forte, il fait néanmoins face à un chômage massif.
« En fait, la croissance dont on parle, c’est une croissance qui résulte de l’embellie des prix des minerais. Mais nous savons que cet argent n’est pas reconverti dans l’économie réel. », souligne Onesphore Sematumba, analyste pour la région des Grands Lacs de l’institut de recherche International Crisis Group.
« Le moteur de la croissance en RDC c’est l’industrie extractive. Mais il faut des industries de transformation. C’est grâce à elles que les Congolais vont trouver de l’emploi. Et pour cela il faut améliorer le climat des affaires. », renchérit Albert Malukisa.
D’après le professeur Malukisa, l’économie congolaise est depuis longtemps confrontée à un manque d’infrastructures, à une inflation endémique ou encore à la corruption qui dissuade les investisseurs.
L’une des grandes réalisations du président Félix Tshisekedi reste cependant la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement primaire dans les écoles publiques et certaines écoles conventionnées.
Initiée en 2019, conformément à l’article 43 de la Constitution congolaise, cette réforme garantit la gratuité et l’obligation de l’enseignement de base.