Le M23 a avancé rapidement dans la province du Nord-Kivu, à l'est de la République démocratique du Congo, au cours des dernières semaines. Le groupe de rebelles a progressé de plusieurs dizaines de kilomètres la semaine du 15 décembre.
Les forces armées de la République démocratique du Congo finissent l'année avec un nouveau chef. Le président, Félix Tshisekedi, a remplacé le numéro un de l'armée dans le cadre d'une série de nominations. Le lieutenant-général Jules Banza Mwilambue remplacera le général d'armée Christian Tshiwewe, désormais conseiller militaire du chef de l’État, selon les ordonnances lues vendredi 20 décembre à la télévision publique.
Ces changements structurels interviennent dans un contexte dans lequel les forces armées peinent à stabiliser l'est du pays. Au lendemain du sommet avorté entre les présidents congolais et rwandais à Luanda, le 15 décembre, les rebelles du M23 ont rapidement gagné du terrain dans la province du Nord-Kivu, à l'est du pays.
"Le M23 avance sur la route de Goma - Butembo, qui sont les deux villes les plus importantes du Nord-Kivu. Actuellement, ils se trouvent à une trentaine de kilomètres de Butembo, voire un peu moins avec les villages environnants qu'ils ont pris ce jeudi 19 et vendredi 20 décembre", détaille Me Raegan Miviri, chercheur et analyste à Ebuteli, l'Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence et membre d'un groupe d'étude sur le Congo de l'université de New York.
"Sur les dernières semaines et les derniers jours, ce qui inquiète, c'est la poussée vers le nord et vers la deuxième plus grande ville de la région après Goma", confirme Christophe Rigaud, journaliste et fondateur du site d’information Afrikarabia.
Selon des sources militaires et locales interrogées par l'AFP, le dimanche 15 décembre, l'armée congolaise avait déjà perdu le contrôle de Matembe, localité située à environ 150 km au nord de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu (est). Dans les 24 heures qui ont suivi la prise de Matembe, les rebelles se sont emparés d’Alimbongo, une localité de plus de 20.000 habitants, située dans le territoire de Lubero.
(Re)voir Le M23 gagne du terrain au Nord-Kivu
Une "poussée fulgurante" qui s’est produite non seulement dans le contexte du sommet raté à Luanda, mais aussi "dans un contexte de cessez-le-feu", rappelle le chercheur. Le cessez-le-feu en question a été signé fin juillet, mais des incidents réguliers au cours des dernières semaines entre rebelles et forces armées congolaises l'ont déjà mis à mal. Au total, une demi-douzaine de cessez-le-feu et trêves ont déjà été décrétés puis violés dans l'est de la République démocratique du Congo.
La rébellion n'était jamais parvenue aussi loin dans le nord de la région. Si elle arrive à gagner la ville de Butembo, deuxième ville du Nord-Kivu, elle contrôlera un important carrefour commercial de la région.
Avec cet avantage sur le terrain, le Mouvement du 23 mars espère entrer en dialogue avec le pouvoir. "C’est leur demande depuis très longtemps, ils ont toujours voulu des négociations directes avec le gouvernement congolais", affirme l’analyste Me Raegan Miviri. Mais, pour l’heure, le président Félix Tshisekedi campe sur ses positions et refuse de les recevoir.
"Toutefois, on a senti ces derniers jours qu’il y a une possibilité de rouvrir le processus de Nairobi [qui appelle à un cessez-le-feu immédiat] avec l’ancien président kényan, Uhuru Kenyatta, qui pourrait reprendre encore le rôle de médiateur dans ce processus de paix", abonde Me Raegan Miviri.
Un rapport des Nations unies, publié en juillet, pointe l'intensification du soutien du Rwanda vis-à-vis du M23. Ce document dénonce la présence de 3 000 à 4 000 soldats aux côtés des rebelles et accuse Kigali d'avoir "violé l'intégrité et la souveraineté de la République démocratique du Congo".
Des accusations rejetées par les autorités rwandaises qui dénoncent à leur tour une collusion entre Kinshasa et les FDLR, mouvement rwandais hutu, formé en République démocratique du Congo et constitué par plusieurs génocidaires des Tutsi en 1994.
(Re)lire RD Congo : un rapport de l'ONU pointe la responsabilité du M23 dans le massacre de civils
"On a l'impression que c'est le Rwanda qui porte la parole du M23" constate Me Raegan Miviri. On peut considérer que le Rwanda fait du M23 son proxy" dans le but de sécuriser sa frontière. "C'est ce qu'on appelle, en sciences politiques, une buffer zone", une zone tampon qui permet à Kigali de protéger son territoire, détaille l'analyste.
Le succès rencontré par le groupe armé du M23 s’explique en grande partie par la fragilité de l’armée congolaise. "Il y a un relâchement du côté de l'armée congolaise et de toutes les coalitions notamment parce qu'il y a plusieurs villages qui sont tombés sans qu'un réel combat n'ait eu lieu", souligne Me Raegan Miviri.
On sait que les forces armées du pays sont affaiblies, mais il est difficile d’évaluer leur nombre et leur état de force. "Il n'y a quasiment pas de journalistes sur place et les informations dont on dispose sont très parcellaires", explique Christophe Rigaud.
"D'ailleurs, on ne sait même pas combien de soldats se battent actuellement au Nord-Kivu… On a des estimations qui s'élèvent à 20 000 hommes", précise le journaliste. Mais il faut prendre en compte qu’il s’agit d’une "armée vieillissante", rappelle-t-il, et qu’on "ne connaît pas le pourcentage d'hommes qui sont en condition de combattre au front".
(Re)voir RD Congo : les sanctions de l'UE contre les Wazalendo
Un autre problème qui se pose pour la République démocratique Congo est la collusion de son armée avec d'autres groupes paramilitaires : "Pour combattre le M23, les forces de la République démocratique du Congo ont forcément dû passer des accords avec d'autres groupes armés, comme les "Wazalendo", qui, ironie du sort, s'opposaient à elles, il y a quelques mois encore".
À cela, on ajoute les faibles salaires perçus par les soldats. Résultat : "c'est une armée complètement inefficace sur le terrain".
L'est de la République démocratique du Congo, riche en minerais, est le théâtre de violences depuis 30 ans. En marge de ce conflit, ce sont les habitants qui subissent les violences commises par les groupes de rebelles, mais aussi par les forces armées. "Cette armée qui est censée protéger la population, est aussi source d'insécurité", constate Christophe Rigaud.
(Re)voir RD Congo : une province face aux défis de l'insécurité et des inondations
Pour l'analyste Me Raegan Miviri, "il est important de rappeler toute la souffrance des civils qui sont dans des camps de déplacés". Il regrette que le sujet soit souvent pensé uniquement sous l'angle stratégique alors qu'il existe un véritable ébranlement autour de la ville de Goma : "il y a une urgence de trouver une solution à cette crise", estime-t-il.
Des personnes déplacées par les combats entre les forces congolaises et les rebelles du M23 se rassemblent dans un camp à la périphérie de Goma, en République démocratique du Congo, le mercredi 13 mars 2024.
Si toutefois la ville de Goma venait à tomber aux mains des rebelles, selon Christophe Rigaud, sa prise ne serait pas réellement un avantage stratégique pour le M23.
"Je pense que l'encerclement est stratégiquement plus intéressant. Il n'y a pas besoin de faire tomber Goma pour faire pression sur le gouvernement congolais. Il y a un peu plus de deux millions de déplacés au Nord-Kivu et les rebelles du M23 sont en train d'étendre leur zone de contrôle vers le nord. Il n'y a donc pas forcément besoin de faire tomber Goma", analyse-t-il au micro de Dominique Tchimbakala de TV5Monde.