Les autorités congolaises ont indiqué porter plainte contre les filiales d'Apple en France et en Belgique pour "l'exportation et la livraison illégale" de minerais du pays via le Rwanda. Selon les avocats représentants la République démocratique du Congo, ces exportations se feraient "au prix de la commission de nombreux crimes". Décryptage de Thierry Vircoulon, consultant indépendant et chercheur associé à l'Ifri.
Thierry Vircoulon : Cette démarche avait été annoncée il y a quelque temps. Il s’agit pour le pouvoir congolais de pointer du doigt les exportation de minerais baptisés “minerais de conflit” car ils contribuent aux financements des combats contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (Fardc).
Ce qui se passe en ce moment est intéressant car aux États-Unis, la loi Dodd-Frank adoptée en 2010 prévoit que les entreprises sont dans l’obligation d’indiquer si les minerais utilisés dans leur production, notamment pour confectionner des smarthphones et autres tablettes, sont des “minerais de conflit” ou non.
Dans le cas présent, il est probable qu’Apple ait indiqué ne pas utiliser de “minerais de conflit” et c’est sur ce point que l’État congolais a dû s’appuyer pour aller aujourd’hui devant la justice.
Tout cela a bien évidemment un lien avec le conflit opposant actuellement la République démocratique du Congo au Rwanda. Kinshasa affirme que Kigali soutient les exactions menées par le M23 au Nord-Kivu (ndlr : le Rwanda dément soutenir le M23).
Tout cela a bien évidemment un lien avec le conflit opposant actuellement la République démocratique du Congo au Rwanda. Kinshasa affirme que Kigali soutient les exactions menées par le M23 au Nord-Kivu.
Thierry Vircoulon, consultant indépendant et chercheur associé à l'Ifri
Il faut signaler que ce recours à la justice traduit un changement du positionnement des autorités congolaises. Avant la résurgence du M23, les autorités congolaises de l’époque étaient opposées à une stigmatisation des minerais. La politique menée a changé depuis que le M23 a pris le contrôle de la zone de Rubaya, (ndlr : le 2 mai 2024 le M23 a indiqué s'être emparé de la ville minière de Rubaya).
Depuis la prise de contrôle de la zone de Rubaya par le M23, les autorités congolaises ont interdit les exportations de minerais provenant de ce territoire. Mais dans les faits les exportations de minerais se poursuivent car la zone de Rubaya est adossée à la frontière avec le Rwanda.
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Thierry Vircoulon : Depuis le début du conflit avec le M23, il y a même une hausse des exportations de minerais de conflits. Ce conflit opposant l’armée congolaise au M23 a une dimension économique. L’enjeu lié à la richesse de terres ne peut pas être mis de côté. Les exportations rwandaises de minerais ont atteint leur apogée cette année avec 1,1 milliards de dollars. Par ailleurs, les données recueillies témoignent d’exportations toujours plus importantes.
Les exportations rwandaises de minerais ont atteint leur apogée cette année avec 1,1 milliards de dollars.
Thierry Vircoulon, consultant indépendant et chercheur associé à l'Ifri
Ces exportations exponentielles sont en corrélation avec les conquêtes du M23. Le mouvement rebelle a élargi son territoire au Nord-Kivu. Le M23 étend sa domination et dans le même temps cela a une incidence sur le secteur des minerais.
La plupart du temps, il s’agit de mines artisanales. Les creuseurs congolais vendent à des négociants rwandais dans la zone de Rubaya. Sur place, l’activité économique est intense. Les intermédiaires congolais ont disparu et les creuseurs traitent directement avec les acheteurs. Avant l’arrivée des acheteurs rwandais, les artisans miniers vivaient dans la misère et cette situation perdure.
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Thierry Vircoulon : La République démocratique du Congo est représentée par 3 cabinets d’avocats dont l’un est situé à Paris mais les chances que cette plainte aboutisse sont maigres. Car pour répliquer, Apple, entreprise multinationale à une armée d’avocats.
En revanche, cette plainte met en lumière la question de la traçabilité. En 2015, un système de traçabilité des minerais a été mis en place mais depuis il a montré ses limites. Le processus mis en place a été compromis notamment par la corruption permettant d’obtenir la certification.
Par conséquent, beaucoup de systèmes de traçabilité dits fiables ne l’étaient pas. La plainte contre Apple vise “à embêter” le M23 et le Rwanda car la plainte déposée par les autorités congolaises vise à dire que les systèmes de traçabilité ne sont pas fiables (ndlr : en Avril, le Rwanda avait rejeté des accusations similaires de la part de la RDC).
Par ailleurs, cela va être un enjeu de taille pour ITSCI à l’origine de la certification.