Commencées en septembre, les éliminatoires de la CAN 2025 se poursuivront cette semaine sans Aliou Cissé. En poste depuis plus de neuf ans, le sélectionneur du Sénégal a été débarqué par le gouvernement du pays. Une décision qui Interpelle, notamment en raison de son timing. Décryptage.
L'exception sénégalaise a pris fin. En poste depuis le printemps 2015, Aliou Cissé n'est plus le sélectionneur du Sénégal. Ainsi en a décidé le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture. D'abord ébruitée par le média Sud Quotidien, la décision a été officialisée ce mercredi, à J-2 de la publication attendue de la liste des joueurs convoqués pour la double confrontation face au Malawi, les 11 et 15 octobre prochains. C'est finalement Pape Thiaw qui quittera le costume d'adjoint pour occuper en temps que numéro 1 intérimaire le banc des Lions de la Teranga à l'occasion de ces deux rencontres. Pour le moins inhabituel, le timing de ce changement entre deux fenêtres FIFA, en pleine campagne de qualification pour la prochaine CAN, interpelle.
Comme pour signifier que la décision n'est pas de son fait, la Fédération sénégalaise de football (FSF) a bien pris soin dans son communiqué de rendre hommage à celui qui a amené le pays sur le toit de l'Afrique, le 6 février 2022 à Yaoundé, en remportant enfin la CAN. « La FSF souhaite exprimer sa gratitude envers M. Aliou Cissé pour sa collaboration exemplaire et ses résultats remarquables à la direction des différentes équipes nationales depuis son arrivée en 2011, et lui adresse ses vœux de succès pour l’avenir », lit-on dans ce document officiel. La publication énumère les reproches justifiant ce choix du gouvernement de ne pas renouveler « El Tactico » : « la non atteinte des objectifs assignés dans le cadre de l’avenant du 07 novembre 2022 arrivé à terme le 31 aout 2024 (victoire à la CAN 2023 et qualification en quart de finale à la Coupe du monde 2022), la régression de notre équipe nationale au classement FIFA et le risque de désaffection entre notre sélection nationale et les sénégalais en général. »
Un bilan historique
Ses défenseurs, dont le président de la FSF, ont toujours mis en avant le bilan d'Aliou Cissé. Avec 67 victoires, 23 nuls et seulement 13 défaites au terme des 103 matchs qu'il a dirigés, deux finales de CAN dont une gagnée et deux qualifications pour la Coupe du monde (2018 et 2022), le natif de Ziguinchor a en effet de quoi bomber le torse. Alors, pourquoi le gouvernement, ce tiers-payeur jusqu'alors respectueux des prérogatives fédérales, a-t-il ainsi débarqué le technicien de 48 ans à la va-vite, alors même qu'il avait démarré les qualifications de la CAN 2025, laissant supposer que son contrat serait tacitement reconduit ?
Un proche du dossier a son idée sur la question. « Aliou Cissé était encore officiellement sous contrat au moment de dévoiler, le 30 août, sa liste pour les rencontres du mois de septembre. Il existait sans doute encore quelques hésitations en haut lieu. Puis le camouflet subi contre le Burkina Faso, avec cette égalisation concédée sur le fil et les sifflets nourris du public, ont sans doute scellé le sort du sélectionneur. Avec deux qualifiés par poule, le risque sportif d'un tel changement en pleines éliminatoires apparaît limité », confie cette source sous le couvert de l'anonymat.
La CAN 2023, un tournant mal négocié
Voilà qui vient en tout cas clore trois trimestres difficiles pour le Sénégal. Car si le bilan global d'Aliou Cissé demeure remarquable, les choses s'étaient sérieusement gâtées depuis l'élimination en huitièmes de finale de la CAN 2023 par la Côte d'Ivoire, le 29 janvier à Yamoussoukro. Après une entame idéale, ponctuée par une ouverture du score d'Habib Diallo dès la troisième minute de jeu, les champions d'Afrique en titre avaient vu les Éléphants revenir puis l'emporter aux tirs au but au terme d'un match tendu et intense. Cette sortie précoce en forme de passation de pouvoirs avait été mal vécue par le public sénégalais.
Par la suite, les supporters des Lions n'allaient que rarement avoir l'occasion de s'enflammer. Au mois de juin, dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du monde 2026, la réception de la RD Congo se soldait par un frustrant match nul (1-1), avec une égalisation concédée en toute fin de match. La courte victoire en Mauritanie n'effaçait qu'à moitié l'affront. Rebelote le mois dernier en éliminatoires de la CAN, avec un nul poussif contre le Burkina Faso (1-1), suivi d'une courte victoire (0-1) contre le Burundi, alors contraint de recevoir à Lilongwe, au Malawi.
Un nouveau sélectionneur pour un nouveau cycle
En accréditant l'idée d'une usure du pouvoir du coach, le déficit de points et de qualité de jeu a donc apporté de l'eau au moulin des détracteurs d'Aliou Cissé. Et pour renouveler des cadres souvent vieillissants, pourquoi ne pas miser sur un changement ? Tel est en tout cas le pari du nouveau pouvoir sénégalais, incarné par la ministre des Sports Khady Diéne Gaye, d'imposer sa marque en choisissant « son » sélectionneur ? Considéré jusqu'alors comme un modèle de gouvernance sportive à l'échelle du continent, le Sénégal n'échappe donc sans doute pas à certaines contingences politiques... Aliou Cissé l'a appris à ses dépens, son successeur devra en être conscient.
Parmi les noms qui circulent avec insistance, figurent ceux d'Habib Beye et d'Omar Daf, anciens de 2002 comme celui qu'ils pourraient remplacer, mais aussi celui d'Hervé Renard. Libre depuis la fin de son mandat à la tête de l'équipe de France féminine, le technicien français, double champion d’Afrique avec la Zambie (2012) et la Côte d’Ivoire (2015), est installé au... Sénégal. Un « détail » qui pourrait avoir son importance.