Les autorités sénégalaises ont déployé vendredi 2 juin des forces armées dans la capitale. Une décision prise au lendemain d’émeutes dans plusieurs grandes villes du pays, faisant au moins neuf morts. Les heurts ont éclaté après la condamnation de l'opposant à Macky Sall, Ousmane Sonko.
Des hommes portant treillis et fusils de guerre ont été positionnés en différents points de Dakar, ont constaté les journalistes de l'AFP vendredi 2 juin, qui n'ont pu identifier dans un premier temps leur corps d'appartenance. La capitale sénégalaise, habituellement grouillante, est à présent désertée son activité quasiment paralysée.
"Tout en appelant au calme et à la sérénité de nos concitoyens, l'État du Sénégal a pris toutes les mesures pour garantir la sécurité des personnes et des biens", a déclaré dans la nuit le ministre de l'Intérieur Antoine Diome.
Une annonce qui marque le terme de l'une des journées de contestation politique les plus meurtrières depuis des années dans le pays. Les autorités sénégalaises ont fait état de neuf morts au cours d'affrontements.
Jeudi 1er juin, le gouvernement a reconnu avoir restreint les accès aux réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Twitter pour faire cesser selon lui "la diffusion de messages haineux et subversifs". Dans la crainte des saccages, les magasins sont restés fermés le long de rues entières portant encore les traces des violences de la veille. L'université en particulier a été le théâtre d'affrontements prolongés et d'importantes destructions.
Devant l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, les manifestants dénoncent la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko. Depuis le verdict rendu le 1er juin, des émeutes ont lieu dans la capitale et dans plusieurs autres grandes villes du pays.
Des étudiants ont rapporté avoir reçu la consigne de quitter le campus et cherché à grand-peine à rassembler leurs affaires avant de trouver un moyen de transport pour les emmener ailleurs. De très nombreux Dakarois ont décidé de ne pas se déplacer par peur pour leur sécurité ou faute de pouvoir trouver un moyen de transport.
Avant les évènements de jeudi, une vingtaine de civils avaient été tués depuis 2021 dans des troubles largement liés à la situation de celui qui est également maire de la ville de Ziguinchor. Le pouvoir et le camp de Ousmane Sonko s'en rejettent mutuellement la faute. Plusieurs quartiers de Dakar, la Casamance (sud du pays) et différentes villes ont été en proie jeudi à une nouvelle flambée causée par la situation de l'opposant Ousmane Sonko.
Le plus farouche adversaire du président Macky Sall est engagé depuis deux ans dans un bras de fer acharné avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique. Le troisième homme de la présidentielle de 2019 a été condamné jeudi 1er juin par une chambre criminelle à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la "débauche" une jeune femme de moins de 21 ans.
La cour l'a en revanche acquitté des charges de viols et menaces de mort contre cette employée d'un salon de beauté où il allait se faire masser entre 2020 et 2021, charges pour lesquelles il était jugé. La décision paraît, au vu du code électoral, entraîner l'inéligibilité de l’opposant et chef du parti Pastef. Ce dernier n'a cessé de nier les accusations en criant à la machination du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle.
Depuis le verdict, le Sénégal a connu des affrontements entre jeunes et forces de sécurité, des saccages de magasins et d'équipements publics et un envahissement de l'autoroute entre Dakar et l'aéroport international.
Le pouvoir réfute et le ministre de l'Intérieur a répété dans la nuit que l'affaire était un "différend" d'ordre privé. M. Sonko était absent au prononcé de l'arrêt. Il est présumé bloqué par les forces de sécurité chez lui dans la capitale, "séquestré" selon lui.
Mais, après deux ans d'une confrontation avec les autorités qui a tenu le pays en haleine, il peut désormais être arrêté "à tout moment", a dit à des journalistes le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall.
Une telle arrestation est susceptible d'enflammer les esprits. Un autre facteur de tension est le flou entretenu par le président Macky Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat en 2024.
Le relativement jeune âge de Ousmane Sonko, âgé de 48 ans, ainsi que son discours souverainiste et panafricaniste plaisent à ses partisans. Dans ses prises de paroles publiques , il prône la défense des valeurs religieuses et des traditions et multiplie les diatribes contre "la mafia d’État". Dans son viseur tout particulièrement : les multinationales et l'emprise économique et politique exercée selon lui par l'ancienne puissance coloniale française.
Autant de prises de positions assumées qui lui valent aussi une forte adhésion au sein d'une jeunesse sénégalaise en quête de perspectives et d'espoir dans un environnement économique et social difficile. Un soutien capital, alors que les moins de 20 ans représentent la moitié de la population du pays.