Un an après le coup d’État au Gabon : “l’euphorie est terminée”

Image
Un an après le coup d’État au Gabon : “l’euphorie est terminée”  (1)
AP Photo/Rafiq Maqbool
Mis à jour le
1 septembre 2024 à 13:55
par N'daricaling Loppy

À Libreville, le président de la transition, Brice Clothaire Oligui Nguema, a fêté en grande pompe l’anniversaire du putsch du 30 août 2023 mettant fin à 55 ans de règne des Bongo. Un an après, quel est le bilan de celui qui proclame avoir mené “un coup de libération” pour le peuple gabonais ? Entretien avec Bergès Mietté, chercheur associé au laboratoire pluridisciplinaire et comparatiste dans le monde à Sciences po Bordeaux et enseignant chercheur à l’université internationale de Libreville.

TV5MONDE : Il y a un an, Ali Bongo Ondimba a été renversé par des militaires putschistes. D’un point de vue politique, que faut-il retenir de l’après coup d’État ?

Bergès Mietté : Lorsque les militaires ont pris le pouvoir au Gabon, ils ont estimé que les institutions de la République étaient mises à mal par les velléités autoritaires du régime d’Ali Bongo Ondimba. À l’origine, leur objectif était donc de mettre à plat les institutions afin de garantir leur légitimité dorénavant. Le coup d’État intervient dans un contexte où les Gabonais attendaient une nouvelle ère. 

Aujourd’hui, il n’y a plus personne qui incarne l’opposition au Gabon. La stratégie mise en place par Brice Clothaire Oligui Nguema est claire. Comme d’autres dirigeants africains, il a mené une entreprise de neutralisation de la contestation. 

Bergès Mietté

Depuis, beaucoup sont sortis de cette phase d’euphorie et s’interrogent sur la capacité du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) à remettre en état les institutions de la République. Il n’y a pas de véritable opposition pour poser ces questions. Et plutôt que de poser la question de la légitimité des institutions, Oligui Nguema se préoccupe davantage des questions de développement.

TV5MONDE : Justement, quelle est la place pour l’opposition depuis le coup d’État ?

Bergès Mietté : Beaucoup de personnes ayant incarnées l’opposition gabonaise ont rejoint le camp du CTRI. Aussitôt au sommet de l’Etat, Brice Clothaire Oligui Nguema s’est employé à désigner des personnalités politiques auparavant opposées au camp Bongo comme des membres de la société civile. Même des activistes qui étaient à l’étranger ont été nommés à des postes à responsabilité. Si bien qu’aujourd’hui il n’y a plus personne qui incarne l’opposition au Gabon. La stratégie mise en place par Brice Clothaire Oligui Nguema est claire, comme d’autres dirigeants africains : il a mené une entreprise de neutralisation de la contestation. Nous sommes en pleine transition, il s’agit d’une période d’exception, durant laquelle Brice Clothaire Oligui Nguema estime qu’il ne doit pas y avoir d’opposition dans le pays. 

TV5MONDE : Dans l’exercice du pouvoir, comment Brice Clothaire Oligui Nguema est-t-il perçu ?

Bergès Mietté : Brice Clothaire Oligui Nguema bénéficie d’un important capital sympathie. Actuellement, il est dans un processus de passage du soldat qu’il a été pendant des décennies vers le professionnel politique. Le président de transition tente donc à travers les actions qu’il mène de démontrer aux Gabonais qu’il est apte à moderniser le pays. 

Alors que le recrutement dans la fonction publique était gelé depuis 2018, Brice Clothaire Oligui Nguema a réactivé certains postes. Des emplois ont été créés dans l’enseignement supérieur, à l’éducation nationale et dans d’autres secteurs d’activité. Des postes budgétaires ont été dégagés et grâce à cela, les retraités ont vu leur arriérés de pension normalisés. Il y a des infrastructures qui ont été réalisées, des routes construites, ces efforts sont à mettre à l’actif du CTRI.

Pour avoir bonne presse auprès des Gabonais, en tant que président de la transition, il s’est donc détourné de l’objectif premier de son coup d’État - celui de redonner de la légitimité aux institutions-. Après avoir libéré les Gabonais du pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, il veut aussi démontrer qu’il peut être un grand bâtisseur. 

Brice Clothaire Oligui Nguema se distingue également de ses homologues malien, nigerien et burkinabè qui sont aussi à l’origine de coup d’État dans leurs pays. La différence, d'une part, est liée au vocabulaire utilisé. Le pouvoir gabonais n’emploie pas l’expression “coup d'État” mais “coup de libération”. Cette expression est brandie pour dire : “nous ne sommes pas des putschistes comme les autres. Nous sommes de bons putschistes.” Et comme ce sont de bons putschistes, ils peuvent se rapprocher de dictatures connues et contestées. 

Leur positionnement leur permet aussi de se rapprocher de l’ancienne puissance coloniale, la France. Car contrairement aux régimes putschistes du Sahel, le Gabon n’est pas confronté au terrorisme. L'aspect sécuritaire ne rentre donc pas en ligne de compte dans les rapports entre Libreville et Paris. Or, Bamako, Niamey et Ouagadougou s’inscrivent dans un discours visant à réaffirmer leur souveraineté nationale; ce qui n’est pas le cas au Gabon.

TV5MONDE : Où en est le référendum constitutionnel ?

Bergès Mietté : Il y a eu un dialogue national en avril qui a été considéré comme inclusif mais dans le fond lorsqu’on analyse, il ne s'agissait pas d’un dialogue national et inclusif car les membres qui y ont participé ont été nommé par Brice Clothaire Oligui Nguema. De plus, la plupart des leaders de la société civile et des opposants au régime d’Ali Bongo font désormais partie du gouvernement de la transition. 

Les voix de ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique menée par les nouvelles autorités ne sont pas entendues parce qu’il n’y a pas de relais. À la télévision nationale, il n’y a pas de débat sur le référendum pour que les citoyens puissent prendre connaissance du contenu de la Constitution et se positionner pour le “oui” ou le “non”. Aujourd’hui, la question est de savoir sur quelles bases les Gabonais vont se prononcer puisqu’ils ne connaissent pas le contenu de ce texte qui sera soumis au référendum. 

TV5MONDE : Pourtant, un calendrier est fixé. Un référendum est prévu avant la fin de l'année et l’élection présidentielle en août 2025. Est-ce que ce calendrier sera tenu ?

Bergès Mietté : Je pense que le calendrier sera respecté parce que le CTRI ne veut pas prendre de risque. Brice Clothaire Oligui Nguema souhaite incarner le Gabon d’après Bongo et grâce à son capital sympathie acquis pour avoir “libérer les Gabonais de Bongo”, beaucoup se sentent redevables. Brice Clothaire Oligui Nguema est conscient que le travail effectué en tant que président de la transition lui permettra d’être bien positionné durant la campagne. C’est pour cette raison qu'il a tout intérêt à ce que le calendrier soit respecté. 

Les délais seront respectés également car il n’y a pas véritablement d'opposants farouches face à lui. Alexandre Barro Chambrier, l’une des figures de proue de la contestation du régime d’Ali Bongo, est désormais vice-premier ministre. Quant à Albert Ondo Ossa, l’ancien candidat face à Ali Bongo lors de la présidentielle de 2023 a peu de relais. L’homme politique ne peut plus bénéficier de l’appui de certains acteurs ayant rejoint le CTRI. De plus, ceux qui ont rejoint le CTRI ne sont pas éligible à la fonction suprême. Cela signifie donc qu’à travers les nominations, Brice Clothaire Oligui Nguema tente de s’assurer de la tournure à venir des événements.

Mais, aujourd’hui, au Gabon, dans les rues de la capitale et à l’intérieur du pays, il y a des gens qui doutent de la capacité du CTRI à conduire le pays vers l'idéal attendu. C’est pourquoi globalement la phase d’euphorie est terminée, même si certains sont encore dans la dynamique avec les projets de développement annoncés.

Partisans du président sortant gabonais, Ali Bongo, dans la commune d'Owendo, au Gabon, le 11 août 2023.

Partisans du président sortant gabonais, Ali Bongo, dans la commune d'Owendo, au Gabon, le 11 août 2023.

(Capture d'écran AFPTV)

TV5MONDE : Quant est-il un an après le coup d’état du bilan d’un point de vue social ?

Bergès Mietté : Les attentes sont plus importantes que les réalisations déjà accomplies par les nouvelles autorités car lors des précédentes décennies, très peu de réalisations ont vu le jour. On peut se féliciter qu’il y ait par exemple des bourses réhabilitées pour les collégiens et lycéens alors qu’il y a encore quelques années ces bourses avaient été suspendues. Au Gabon, les élèves bénéficient désormais d’une bourse dès l’entrée au collège. Brice Clothaire Oligui Nguema a également mis en place la gratuité des frais de scolarité et beaucoup de parents d'élèves s’en félicitent. Mais le Gabon reste un pays où les inégalités restent énormes donc les attentes sont fortes notamment en termes de diversification de l’économie.