Prévenir et gérer les conflits : de quels moyens dispose l'Union africaine ? Pour quels résultats ? Peut-elle être plus efficace ? Décryptage des instruments et des limites de l'UA en matière de paix et sécurité sur le continent avec "Les Mots de la Paix".
« Les changements non constitutionnels de gouvernement se sont multipliés en totale défiance de tout l'ordonnancement politico-juridique qui a fondé notre organisation. Jamais, depuis la création de l'Union africaine, un tel nombre de transitions post-changements non constitutionnels n'a été atteint en Afrique. Notre échec à contrer un tel phénomène est patent. » Le ton est donné. Le 17 février 2024, à l'ouverture du 37e sommet de l'UA, le président de la Commission de l’Union africaine en exercice, Moussa Faki Mahamat constate l’impuissance de son organisation face aux coups d’État qui se multiplient sur le continent.
Pourtant l’UA s’emploie à prévenir ou gérer les crises au sein de ses États membres. Avec quels moyens ? Pour quels résultats ?
Le président de la Commission de l'Union africaine Moussa Faki Mahamat au lancement de pourparlers pour la paix au Soudan du Sud, le 9 mai 2024 à Nairobi (Kenya). Les présidents africains présents ont appelé à la fin d'un conflit qui paralyse l'économie du pays depuis des années.
Il s'agit de l’organisation multilatérale à vocation continentale qui a remplacé l’Organisation de l’Unité africaine, l’OUA, créée le 25 mai 1963, aux lendemains des indépendances pour promouvoir la vision panafricaniste d’une Afrique unie, solidaire et libre de choisir son destin.
La nouvelle organisation voit véritablement le jour à Durban en Afrique du Sud, lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du 8 au 10 juillet 2002.
Sur un continent, en grande partie émancipé du colonialisme et de l’apartheid, l’Union africaine met avant tout l’accent sur l’intégration économique, la prospérité et l’affirmation de l'Afrique sur la scène internationale.
Son siège se trouve à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, et tous les États du continent en sont membres.
Des délégués assistent à la séance d'ouverture du 33e sommet de l'Union africaine au siège de l'UA à Addis-Abeba, en Éthiopie, le dimanche 9 février 2020. Les discussions ont notamment porté sur la situation en Libye et au Soudan.
L’OUA avait créé un « Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits » ainsi qu’un Fonds spécial pour la paix, puis un centre de gestion des conflits et d’alerte précoce et un organe central, constitué de 15 à 17 membres de la Conférence des chefs d’État ou de Gouvernement.
Ce Mécanisme privilégiait la prévention des conflits plutôt que les interventions militaires, et avait montré ses limites avec l’échec de sa première opération de paix au Tchad en 1981.
Mais en 2001, l’Acte constitutif de l’Union africaine rompt avec le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres. L’UA revendique le droit d’intervenir dans un État membre en cas de crimes de guerre, de génocide et de crimes contre l’humanité, affirme le droit des États membres de solliciter son intervention pour restaurer la paix et la sécurité, et condamne les « changements anticonstitutionnels de gouvernement ».
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L’UA s’est dotée d’une Architecture africaine de paix et de sécurité, généralement désignée sous son sigle anglais APSA.
Elle s’appuie sur six piliers :
- le Conseil de paix et de sécurité : son organe de décision. Il est composé de quinze États désignés selon des principes de rotation et de représentation régionale équitable ;
- la Commission de l’Union Africaine ensuite. Son président agit sous l’autorité du Conseil de Paix et de Sécurité. Il prend des initiatives diplomatiques, personnellement ou via des Envoyés spéciaux. Il est assisté par un Commissaire qui dirige notamment le Département Paix et Sécurité de l’UA.
- le Fonds pour la paix qui doit financer les activités de l’APSA ;
- le Groupe des Sages, un organe consultatif, composé de personnalités représentant les différentes régions du continent ;
- le Système continental d’alerte rapide, chargé de l’analyse des situations de conflit potentiel ;
- la Force Africaine en Attente, la FAA, dotée de contingents militaires, policiers et civils, stationnés dans leur pays d’origine et prêts à être déployés rapidement.
Le groupe des Sages est nommé par l'Assemblée de l'UA pour trois ans. Début 2025, il est composé (de gauche à droite) d'Amre Moussa, ancien ministre des affaires étrangères de l'Égypte, Lady Justice Effie Owuor, juge à la retraite de la Cour d'appel du Kenya et présidente du groupe de mai 2024 à février 2025, Domitien Ndayizeye, ancien président du Burundi, Phumzile Mlambo-Ngcuka, ancienne vice-présidente d'Afrique du Sud, et de Babacar Kante, ancien vice-président de la Cour constitutionnelle du Sénégal.
Ils sont répartis en cinq brigades régionales :
Depuis la création de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, l’Union est intervenue à plusieurs reprises militairement sur le continent : au Burundi, au Soudan, aux Comores, en RCA, mais aussi contre l’Armée de Résistance du Seigneur en Ouganda, RCA, Soudan du Sud et RDC. Mais c’est en Somalie, dans le cadre des opérations AMISOM puis ATMIS, que l’intervention de l’UA a été la plus longue et la plus significative.
L’UA est également intervenue conjointement avec l’ONU au Darfour dans le cadre d’une opération hybride avec l’ONU.
L’UA est aussi fréquemment engagée pour prévenir les conflits, superviser la mise en œuvre d’accords de paix, accompagner les processus électoraux et les transitions, ou soutenir les réformes des forces de défense et de sécurité dans ses États-membres.
D’abord, parce que le dispositif de la Force Africaine en Attente s’est avéré complexe et lourd à mobiliser, voire impossible à actionner conformément aux différents scénarii prévus. Les forces des États-membres ont souvent été déployées en dehors de ce cadre, via des dispositifs ad hoc.
Les rivalités entre États-membres, mais aussi le manque de clarté sur la répartition des compétences et la subsidiarité entre l’Union Africaine et les communautés économiques régionales, expliquent aussi les difficultés rencontrées.
Selon Liesl Louw Vaudran, conseillère principale “Union africaine” de l’International Crisis Group, c'est d'ailleurs le principal problème : « Qui a la responsabilité d’intervenir quand il y a un problème complexe comme la crise au Soudan ? L’UA était prête à intervenir ou lancer une médiation. Mais les pays de la région ont répondu que c’était à la communauté économique régionale de tenter d’abord une médiation. Celle-ci a échoué et ça a créé beaucoup de frustration, de confusion. Et même quand il s’agit de financer une intervention, c’est pareil, ce n’est pas clair. »
Car le financement des actions est l’autre difficulté majeure de l’UA. Jusqu'ici les principales opérations de paix menées sur le continent dépendent très largement des fonds de l’Union européenne à hauteur de 24%, mais aussi des États-Unis et de l’ONU.
Depuis fin 2023, la résolution 2719 du Conseil de sécurité prévoit ainsi un financement maximal par les Nations unies de 75% des actions. Mais sa mise en application s'avère complexe. En témoignent les incertitudes concernant le financement de la nouvelle Mission d’appui et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie (AUSSOM), qui a remplacé la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (ATMIS) depuis le 1er janvier 2025.
L'Union africaine repose essentiellement sur l'aide de l'Union européenne, et d'autres, pour ses opérations. C'est un grand problème.
Liesl Louw Vaudran, conseillère principale “Union africaine” de l’International Crisis Group
Cette dépendance exagérée vis à vis de la communauté internationale sape la légitimité et le leadership de l’Union africaine pour la résolution des crises sur le continent.
Une réforme de l’UA a été engagée sous la Présidence du Rwanda entre 2018 et 2019. Elle s’articule autour de trois axes majeurs :
Concernant le financement, il s'agit d'augmenter les contributions des États membres et les ressources du « Fonds pour la paix ». Il est désormais doté de 610 millions de dollars grâce à un prélèvement sur les importations et à des contributions institutionnelles et privées. Une somme cependant très modeste lorsque l’on sait que la seule opération de paix en Somalie coûte 1 milliard et demi de dollars par an.
Plus généralement, l’efficacité de ces réformes reste très limitée, comme en témoigne le faible impact du programme « Faire taire les armes d’ici 2020 » pourtant présenté comme l’initiative phare de l’Agenda 2063 de l’UA.
Acte constitutif de l’Union africaine
Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité - Union africaine
Schéma de l'architecture africaine de paix et de sécurité (APSA)
Publications de l'Union africaine - Union africaine (lien en anglais)
Adoption de la résolution 2719 du Conseil de sécurité de l'ONU - Nations Unies
Facilité européenne pour la paix - Conseil de l'Union européenne
Soutenir le Fonds pour la paix de l’Union africaine - Rapport du Conseil de Paix et de Sécurité - ISS - Septembre 2024.
Financement "hybride" des Nations unies pour l'opération en Somalie - Nations Unies - Décembre 2024.
Romain Esmenjaud et Benedikt Franke, Qui s'est approprié la gestion de la paix et de la sécurité en Afrique ? - Revue internationale et stratégique - 2009.
Delphine Lecoutre, Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, clef d'une nouvelle architecture de stabilité en Afrique ? - Afrique contemporaine - 2004.
Nate D.F. Allen, Les opérations de paix conduites par les Africains : Un outil essentiel pour la paix et la sécurité – Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique - 2023.
Guy-Fleury Ntwari, L'Union africaine et la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique - 2014.
Maram Mahdi, Le Conseil de paix et sécurité de l’UA a-t-il besoin de membres plus influents ? - ISS - 2024.
Cédric de Coning et Andrew E. Yaw Tchie, La Force africaine en attente a 20 ans : a-t-elle contribué à maintenir la paix ? Le pour et le contre - The Conversation - Juin 2024.
Moussa Soumahoro, Le secteur privé africain stimule le Fonds pour la paix de l'UA - ISS - 2025.
Liesl Louw-Vaudran, Publications pour l’Institut d’études et de sécurité - ISS.
Liesl Louw-Vaudran, Publications et podcasts pour l'International Crisis Group - ICG (lien en anglais)
Éthiopie : que retenir du 37è sommet de l'Union africaine à Addis-Abeba ? - TV5MONDE (lien video) - Février 2024.
L’Union africaine, une institution dépassée par les crises du continent – Le Monde - février 2024.
Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine : un bilan louable à l’âge de raison - Jeune Afrique - mai 2024.
Union africaine : "La volonté des uns et des autres menace de transformer l'Afrique en terrain de bataille géostratégique" - TV5MONDE (article et vidéo) - Mai 2023.
L’Architecture africaine de paix et de sécurité à l’épreuve des conflits – Guinée News – Mai 2022.
Quel bilan pour l'Union africaine, 20 ans après sa création ? - TV5MONDE - Juillet 2022.
Sommet de l'Union africaine : le chantier de la réforme de l'institution - TV5MONDE (article et vidéo) - Janvier 2018.
L'Union africaine entre dans le G20 - TV5MONDE - Septembre 2023.
Union africaine : qui pour succéder à Moussa Faki Mahamat ? - Le Monde - mai 2024.
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